Traduction libre d'extraits de l'ouvrage de René Friedel : Geschichte des Fleckens Erstein 1927.
L'impératrice Ermengarde acquiert Erstein en 821
C'est en l'an 817 qu'Erstein entre dans l'histoire et de cette époque date le premier document qui fait mention de la localité et qui est aujourd'hui conservé à Paris. Louis le Pieux succéda à Charlemagne (814 - 840). Pour éviter qu'à sa mort des disputes n'éclatent entre ses fils il trouva judicieux d'organiser, lors d'une diète à Aix-la-Chapelle en 817, un partage de ses terres entre ses trois fils. Pour Louis, appelé plus tard le Germanique, l'Autriche, pour Pépin l'Aquitaine et pour Lothaire I les territoires situés entre les deux avec en plus la dignité d'empereur.
Après avoir réglé cette affaire il se rendit en compagnie de Lothaire dans les forêts vosgiennes pour s'adonner au plaisir de la chasse. Il adorait chasser accompagné d'une petite escorte et en hiver faire virevolter les faucons dans les airs. Il se rendait volontiers à Ingelheim dans le Palatinat, à Remiremont, Compiègne, Quierzy, Kreuznach, Francfort, Salz, Nimègue ou dans les montagnes boisées des Vosges, des Ardennes et de l'Eifel. Ermold le Noir évoque dans son élégie les ravins de la Vasgovie où les rois se consacraient à la chasse, où le cerf blessé s'enfuyait pour rejoindre la source et où le sanglier écumant détalait en direction du fleuve...
Son séjour dura trois mois, d'août à octobre. Peut-être pas uniquement dans les forêts vosgiennes mais aussi dans la plaine du Rhin sur les possessions impériales d'Erstein (Herinstein). Pendant son séjour il fit don à son fils et co-régent Lothaire de ses biens alsaciens d'Erstein : une villa royale et 60 domaines alentours.
L'agrément de la chasse fut interrompu par des messagers qui annoncèrent qu'à l'Est, les Abodrites se seraient soulevés sous la conduite du roi Sclaomir. Et lorsque le roi se rendit à Aix-la-Chapelle une nouvelle encore plus grave lui parvint. Son neveu Bernard d'Italie aurait fomenté une révolte contre lui en Italie.
Tout laisse supposer qu'à travers la donation faite à Lothaire, Louis le Pieux voulait se rapprocher de l'Alsace et du comte Hughes, prince le plus riche et le plus puissant de l'empire. Nous trouvons une autre marque de cette volonté de rapprochement dans la confirmation, à la diète de Quierzy (Oise) le 2 septembre 820, d'un échange entre Hughes et le monastère de Wissembourg. Trente personnes sont co-signataires de cet acte et parmi elles, l'évêque de Strasbourg Adeloch.
Ce Hughes, comte du Sundgau, aussi appelé Hughes de Tours, avait déjà joué un rôle important sous Charlemagne. C'était un descendant d'Etichon, le père de Sainte Odile. Sa sœur Basille était abbesse de Saint-Etienne à Strasbourg, son frère était le comte Leuthard dont le fils était connu à la cour de Louis le Pieux comme comte de Bourgogne et fut plus tard élevé à la dignité de comte de Paris. Il était très célèbre dans les annales de l'époque et chanté par les troubadours sous le nom de Girart de Roussillon, donateur des monastères de Poitiers et de Vézelay.
En 811 , Charlemagne envoya une délégation à Constantinople auprès de l'empereur byzantin Nicéphore. L'évêque Hatto de Bâle également abbé de Reichenau, le duc Hughes de Tours et le duc Ajo du Frioul en étaient les chefs. D'après Hermann Contract Hatto en aurait fait le compte-rendu sous le titre Hodoeporicon. Malheureusement ce récit, qui aurait pu nous apporter desconnais-sances inestimables, est introuvable. Le but de cette délégation était d'obtenir un accord sur les frontières entre l'empire d'Orient et le royaume des francs dans la région de la Vénétie. Cette délégation n'eut pas le succès escompté car Nicéphore est mort le 25 juillet 811 dans un affrontement avec les Bulgares.
Ce voyage de Hughes avec les souvenirs que ce dernier en rapportait allaient alimenter la légende de Niedermunster.
La légende rapporte que le duc Hughes était accusé de trahison envers Charlemagne et devait être décapité mais comme la main du bourreau refusa d'obéir, Hughes fut innocenté. Pour réparer le tort commis à son encontre, et sur sa demande, l'empereur lui fit cadeau de reliques qu'un religieux avait ramené de Jérusalem et notamment des morceaux de la vraie croix, des habits de la Vierge, un bras de sainte Basilide, Dionysii etc... Hughes fit enchasser ces reliques dans une croix ornée de pierres précieuses qu'il chargea sur un chameau. Ce chameau, qui portait une cloche au cou et était accompagné par 5 cavaliers, alla de Bourgogne en France jusqu'à Paris. Ce cortège qui suscita un vif intérêt sur son passage regagna ensuite l'Alsace à l'époque des moissons, jusqu'au Vogelberg au pied duquel se trouve le village de Saint-Nabor. Le chameau se reposa un instant avant de rejoindre l'abbaye de Niedermunster. La croix fut ensuite conservée par les Jésuites de Molsheim jusqu'à la Révolution où elle a disparu.
Hughes a eu cinq enfants de son épouse Ava : Adélaïde , Ermengarde, Luitfried, Adalard et plus tard Hughes qui décéda en bas âge. Adélaïde, « l'intelligente Adélaïde » épousa le frère de l'impératrice Judith, Conrad le Welf comte d'Auxerre et de Paris. Après sa mort elle épousa Robert le Fort duc d'Anjou. Elle est l'aïeule de Hughes Capet qui donna naissance à la dynastie des Capétiens.
Ermengarde épousa l'empereur Lothaire 1er. Luitfried devint plus tard le confident de son neveu le roi Lothaire II. Il se rendit coupable d'apporter son soutien à la liaison illégitime qu'entretenait Lothaire avec Waldrade à Marlenheim. Le comte Adalard a vécu à la cour de Louis le Germanique et fut négociateur lors du partage de l'héritage de Charlemagne entre Louis et son frère Charles le Chauve.
En l'an 821 s'était tenue à Thionville (Diedenhofen) une importante diète impériale. A côté des affaires politiques, les affaires religieuses y furent débattues dans un synode diocésain. La session se clôtura par les festivités du mariage de Lothaire I avec Ermengarde, la fille du comte alsacien Hughes de Tours. Le mariage eu lieu au milieu du mois d'octobre. L'évêque de Strasbourg Adeloch participa à la cérémonie en compagnie de nombreux autres évêques. Le pape Pascal envoya une délégation conduite par le primicier Théodore et le Superista Florus avec de somptueux présents pour les mariés. Le poète irlandais Sedulius Scottus qui était à la cour a composé pour l'occasion un poème dans lequel il flattait en termes choisis la fille blonde du comte alsacien. Ce n'était pas une mésalliance car on rappela à l'occasion la lignée de haute noblesse de laquelle étaient issus Hughes et sa fille.
Le lendemain du mariage, et en guise de cadeau du matin (Morgengabe), Lothaire fit don à son épouse de la villa Erstein qu'il avait reçue de son père en alleu. Les jeunes mariés partirent ensuite de Thionville pour rejoindre Worms.
Peu de temps après Louis le Pieux accorda à Hughes le bénéfice de l'abbaye de femmes Saint Julien d'Auxerre ce qui le fit entrer dans le cercle des grands seigneurs de l'empire. Son destin était intimement lié à celui de Lothaire. Le biographe de Louis le Pieux le désigne comme un personnage des plus inquiétants mais celui-ci était un ennemi de Hughes et de son parti et exprimait ainsi son mépris. Les évènements historiques nous motrent ce personnage sous un autre angle. L'influence du beau-père sur Lothaire a sans doute été le germe de ses dissensions ultérieures avec la maison paternelle.
Ermengarde à Rome
L'année suivante (822) Ermengarde mis au monde un fils, le futur empereur Louis II. A nouveau cet événement donna aussi l'occasion au poète Sedulius Scottus de célébrer les vertus d'Ermengarde.
Louis le Pieux regretta vivement la sentence cruelle infligée à Bernard et qui entraina sa mort. Il fit pénitence lors du concile d'Attigny. A Thionville, à l'occasion du mariage de Lothaire, il avait donné à celui-ci le royaume d'Italie libéré après la mort de Bernard. Ermengarde et Lothaire, qui étaient présents à Attigny, se dirigèrent vers l'Italie pour le couronnement. Dans leur escorte se trouvait Wala, le frère de Saint Adalard moine et plus tard abbé de Corbie qui pendant la jeunesse de Bernard gouverna l'Italie. Les Lombards qui pensèrent que le roi resterait dans le pays et résiderait à Pavie, la ville du couronnement, jurèrent fidélité au roi. Mais Lothaire et Ermengarde avaient l'intention de retourner en Allemagne quand le pape Pascal les invita à Rome le 5 avril 823, pendant les fêtes de Pâques, pour la cérémonie du couronnement à Saint Pierre. La foule rassemblée scandait « Vive Lothaire, César Auguste, l'empereur romain ».
Le nom du pape Pascal, qui a été canonisé, est à jamais lié à la découverte du corps de la vierge et martyr Cécile. Il se rendit aussi célèbre par la restauration des églises de Rome. Ayant visité l'église Sainte-Cécile et constatant le triste état du bâtiment il décida de procéder à sa rénovation. Il aurait aimé y transférer les reliques de la Sainte mais le lieu de sa tombe restait inconnue. Il apprit la présence de sa dépouille dans les catacombes le long de la voie Appienne. Il fit tarnsférer le corps dans l'église rénovée, sous le maître-autel, avec celui de Valerianus, des martyrs Tiburtius et Maximus et des papes Urbanus et Lucius.
Pour assurer la pérennité des offices, particulièrement la liturgie des heures auprès des précieuses reliques, le pape Pascal fit construire à côté de l'église, à l'endroit appelé « colles jacentes » un couvent dédié à Sainte Cécile et Sainte Agathe et y associa l'hospice proche de St Peregrinus.
La découverte du corps de Sainte Cécile en l'an 821 et les évènements qui ont suivi suscitèrent un vif intérêt. Ermengarde profita de son séjour à Rome pour visiter ce lieu saint et le couvent rendus célèbres. Ce qu'elle a vu et entendu de Sainte Cécile lui laissèrent une si forte impression que 30 ans plus tard elle va s'en souvenir, comme nous le verrons, lors de la fondation du monastère d'Erstein.
Lothaire et Ermengarde allèrent de Rome à Pavie où ils séjournèrent quelques mois à Corteolona, lieu de résidence des rois d'Italie situé à proximité du Pô. Puis ils s'en retournèrent à Aix -la-Chapelle en passant par les Alpes rhétiques pour rencontrer Louis le Pieux.
Ermengarde comme épouse et mère
Ermengarde consacra les années suivantes à son devoir d'épouse et de mère et en 825 naissait son deuxième fils, Lothaire II puis son troisième Charles de Provence dont la date de naissance n'est pas connue.
A côté des fils on lui connait 5 filles : Berthe qui après d'amères péripéties devint abbesse de l'abbaye d'Avenay près de Reims, Hiltrude épouse d'un comte nommé Berenger, Ermengarde qui fut enlevée par Gisebert de Maasgau, Gisèle qui devint abbesse de Saint-Sauveur de Brescia et enfin Rotrude, la plus jeune, née en 835 et première abbesse de l'abbaye d'Erstein.
Jusqu'en l'an 827 sa vie, comme jeune épouse et comme mère, semble s'être déroulée de manière agréable. Mais son époux Lothaire l'entraina dans des évènements parfois douloureux. Sa résidence semble avoir été au début à Worms mais plus tard elle fut conduite à errer entre Aix-la-Chapelle, Mayence, Worms, Compiègne, Pavie etc...
Après le décès d'Ermengarde, sa première femme, Louis le Pieux épousa Judith, une descendante des Welf, qui lui donna un fils, Charles le Chauve. Nous savons que dès l'année 817 il avait patagé l'empire entre les trois fils du premier lit. Mais Judith, qui était une femme intrigante, voulut provoquer un nouveau partage de l'empire auquel participerait son fils. Elle avait choisi par malice Lothaire, le fils ainé, comme parrain de son fils pensant qu'il allait interrcédé en sa faveur. S'il était d'abord assez compréhensif, il chercha par la suite à contrecarrer les plans de Judith ardemment soutenu par son beau-père Hughes et un autre grand seigneur de l'empire, Matfrid.
Lorsqu'en 826 éclata un soulèvement à la frontière espagnole, pour les éloigner, on y envoya les deux seigneurs avec une armée. Ils perdirent beaucoup de temps en route si bien que la campagne se solda par un échec. Sur intervention de Judith et pour les punir ils furent déchus de leurs fiefs et comtés au cours d'une diète impériale à Aix-la-Chapelle (828). Hughes perdit ainsi le bénéfice du monastère Saint-Julien d'Auxerre et le comté de Tours et ils ne purent conserver que les alleus. Lorsque Louis le Pieux nomma le fils de Judith duc d'Allémanie (y compris l'Alsace), de Réthie et de Bourgogne, Lothaire, soutenu par Hughes et Matfrid, se révolta. Fin septembre 829, Louis le Pieux l'exila dans son royaume d'Italie et Bernard de Septimanie, favori de Judith, pris la place de Hughes à la cour. Ces évènements déclenchèrent une querelle de famille sans précédent dans l'histoire.
Après ces évènements, les frères de Lothaire, Louis le Germanique et Pépin se mirent à avoir des craintes pour leur royaume. Judith fut démise, Lothaire revint d'Italie (Compiègne) et Hughes et Matfried furent rétablis dans leurs fonctions antérieures. Les vainqueurs gagnèrent en courage et Lothaire souhaita alors écarter son père et s'emparer du pouvoir. La révolte fomentée se retourna alors contre Lothaire et ses partisans. On enleva à Lothaire son droit de co-régence, on restreignit ses possessions en Italie et on le démit de ses fonctions.
La Paix ne fut que de courte durée et les trois fils se révoltèrent contre le père. Lothaire traversa les Alpes en compagnie du pape Grégoire pour rejoindre ses frères. C'est ainsi qu'eut lieue la célèbre rencontre près de Colmar (juin 833) au lieu-dit Lugenfeld. La cause principale de la déroute de l'armée de l'empereur est attribuée à Lothaire qui a rompu le pacte de fidélité et par la suite il ne cessa d'apparaître comme le bourreau de son père. Il s'empara du pouvoir et traina son père avec lui à Marlenheim où il resta quelque temps. Il congédia ensuite son armée et décréta la tenue d'une diète à Compiègne le 1er octobre. Louis le Pieux fut emmené dans un premier temps à Marmoutier puis, à travers les Vosges à Metz, Verdun et Soissons où il fut emprisonné à l'abbaye Saint-Médard.
Lothaire réapparut le 11 novembre à Aix-la-Chapelle en compagnie de son père.
Les grands seigneurs Hughes, Matfrid et Lambert devinrent à nouveau tout-puissants et es frères de Lothaire s'élevèrent contre le traitement indigne infligé au père. Sous la pression de ses frères Lothaire fut contraint de se retirer d'Aix-la Chapelle. En passant par Paris (Saint-Denis) il regagna la Bourgogne (Vienne). Il rejeta encore la demande de réonciliaton que lui a adressée son vieux père. Pour venir en aide à ses partisans Hughes et Matfrid il rejoignit Le Mans en passant par Châlon-sur-Saône, Autun et Orléans. Etant lui-même en difficulté il se rendit et se jeta aux pieds de l'empereur en compagnie de Hughes et Matfrid.
L'empereur accorda le pardon à Lothaire mais lui retira toutes les terres de ce côté des Alpes et l'envoya dans son royaume d'Italie qu'il ne devait plus quitter. On laissa à ses partisans le choix de le suivre ou de rester. Il était accompagné par Hughes et sa famille, c'est à dire son épouse Ava et son plus jeune fils Hughes ainsi que par Matfrid, Gottfrid, le comte Agimbert du Pertois, Burgarit et Richard. Parmi les religieux, il faut citer encore Wala de Corbie, les archevêques Bernard de Vienne, Barthélemy de Narbonne et les évêques Jesse d'Amiens , Heribald d'Auxerre et Elie de Troyes. Bien sûr l'accompagnait aussi Ermengarde, son épouse, qui souffrait beaucoup de ces disputes familiales. Lothaire fixa sa résidence à Pavie où allait naître Rotrude, sa plus jeune fille, future première abbesse d'Erstein. C'est en l'an 835 que devait se situer sa naissance et elle fut baptisée par l'archevêque George de Ravenne. Il avait gagné la confiance de Lothaire en offrant de précieux présents détournés du Trésor de l'évêché. Il fournit aussi les ornements destinés au baptême et célébra l'office. Ermengarde accompagnée de deux dames de cour portait une robe blanche ourlée d'or. Ses cheveux étaient maintenus par un foulard orné de diamants et un voile doré parsemée d'émeraudes entourait son visage. Les festivités se déroulèrent dans la chapelle du palais dédiée à Saint Michel.
Pour récompenser ses partisans, Lothaire puisa dans les fondations italiennes des francs et même dans les biens de l'église. Ermengarde obtint le bénéfice du monastère Saint-Sauveur aussi appelé Sainte-Julie de Brescia dont l'abbesse fut Amalberga. Il dota sa belle mère Ava de territoires à proximité de la rivière Lambro dans les environs de Milan qui faisaient parties des biens royaux et du bénéfice de l'abbaye de Bobbio fondée par Saint Colomban au bord de la Trebbia. Il y avait encore Agilmar à la chancellerie, qui devint plus tard archevêque de Vienne, le clerc Dructemir qui assurait la fonction de scribe, Rucktald celle d'archichapelin et le comte palatin Maurin.
Au mois de mai de l'an 836 devait se tenir une diète impériale à Thionville. Louis le Pieux envoya des émissaires à Lothaire pour l'y inviter. Lothaire accepta ou promit d'y envoyer une délégation avec à sa tête Wala. Mais ni Lothaire ni Wala ne vinrent à la réunion si bien que le bruit courut que Lothaire serait pris de fièvre. L'empereur ne croyait pas à cette maladie et envoya une nouvelle invitation sans plus de succès. Lothaire était vraiment malade et la peste qui sévissait à cette époque en Italie fit des ravages parmi ses partisans. Matfrid, Hughes son beau-père et son fils, Lambert, Gottfrid et son fils, le comte Agimbert, Burgarit les évêques Jesse d'Amiens et Elias de Troyes succombèrent tour à tour.
L'abbé Wala décéda le 31 août 836 et fut enterré dans son monastère de Bobbio. Ermengarde qui l'appréciait beaucoup envoya une missive à toutes les fondations d'Italie pourqu'elles fassent dire des prières pour le salut de son âme. Mais lorsque les messagers arrivèrent au monastère Saint-Sauveur de Brescia ils purent s'apercevoir que la nouvelle et les circonstances de la mort de Wala étaient déjà connues et que deux moniales, qui s'étaient distinguées par leur piété, crurent avoir entendu le choeur des anges emporter son âme au ciel. Ermengarde racontait souvent cette anecdote à Radbert, l'abbé de Corbie.
Hughes, le père d'Ermengarde mourut le 20 octobre 836 quant à son plus jeune fils, Hughes, il s'était éteint une année auparavant et fut enterré à Saint Ambroise. Lothaire avait fait don à cette église de possessions à Limonte au bord du lac de Côme pour assurer la paix aux défunts. Ava, la veuve de Hughes, légua en 837 les territoires de Leocate au bord du Lambro à la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Monza. Elle mourut deux ans plus tard, le 4 septembre 839. Hughes et Ava reposent dans deux sarcophages de pierre dans l'église Saint-Chiodo de Monza.
En mai 839 Lothaire apparut enfin à la diète Worms. Il se jeta aux pieds de l'empereur en prononçant ces mots : - je sais que j'ai péché devant Dieu et devant toi mon père, je ne te demande pas un empire mais la misécorde et le pardon -. Pépin, le troisième fils était mort entre temps et Charles le Chauve pouvait donc entrer en possession de son héritage sans porter préjudice à ses frères. Après cette réconciliation Lothaire retourna en Italie. Il était temps, car Louis le Pieux allait mourir un an après. Lorsque Lothaire apprit la nouvelle il prit immédiatement la direction du Nord. Il était en Alsace en juin et trouva partout du soutien. Fin juillet Ratold, l'évêque de Strasbourg nouvellement élu, lui fit allégeance. Ses frères Louis et Charles, qui connaissaient le caractère de Lothaire, avaient des craintes pour leurs possessions. Lothaire qui fêta Pâques en 841 à Aix-la-Chapelle devait éviter la rencontre avec les armées de ses frères. Le 12 mai nous le trouvons à Quierzy, puis, une bataille décisive eut lieu à Fontenoy en Puisaye, au sud-ouest d'Auxerre. Lothaire fut battu, se retira à Aix-la-Chapelle, puis à Myence où il rencontra Raban Maure, l'abbé de Fulda qui devint plus tard archevêque de Mayence et qui était très apprécié par Ermengarde. Peu de temps après se tenait la cérémonie du mariage de Hiltrude, la fille de Lothaire et de Ermengarde, avec le comte Berenger.
Après avoir passé une journée à Thionville, Lothaire réussit une avancée victorieuse en direction de Paris. L'alliance entre Charles et Louis fut scellée par le fameux serment de Strasbourg le 14 février 842. Leur armée pourchassa Lothaire qui, en compagnie de sa femme, de ses enfants et de quelques fidèles, s'enfuyait vers Lyon en passant par Châlon-sur-Marne et Troyes. Les trois frères se rencontrèrent le 15 juin 842 à Mâcon. Lothaire regagna ensuite Trèves avec sa famille. Par le traité de Verdun, le 10 août 843, l'empire fut enfin partagé entre les trois frères. Lothaire obtint l'Italie, la Provence, la Bourgogne, l'Alsace, la région de la Moselle (Trèves et les évêchés de la province jusqu'à Chaumont), la Ripuarie (de la frontière avec la Saxe jusqu'à l'Escaut à Cambrai) et la Frise. Les principales villes étaient Aix-la-Chapelle, Metz et Rome. Lothaire résidait à partir de 1840 dans les pays francs situés le long du Rhin.
Autour de l'année 846, l'entente laborieuse entre les trois frères fut à nouveau mise en danger. Le comte Gieselbert de Maasgau, un vassal de Charles le Chauve, enleva Ermengarde, un fille de Lothaire, pour l'épouser en Aquitaine. L'enlèvement de la fille était un usage païen combattu avec sévérité par les synodes. Ce type de pratique arrivait pourtant de temps en temps. Les filles des rois y étaient particulièrement exposées compte tenu du bénéfice que l'auteur pouvait tirer de la parenté, qui pouvait aller jusqu'à la revendication du trône. C'est pourquoi Charlemagne préférait envoyer ses filles au couvent alors qu'elles n'étaient pas spécialement attirées par l'état de religieuse. L'action de Gieselbert était don condamnable. Pour éviter qu'une nouvelle querelle n'éclate entre les frères, Charles le Chauve, le suzerain, et Louis le Germanique jurèrent devant Dieu de ne pas se mêler de l'affaire. Malgré cela ils n'arrivèrent pas à se réconcilier. Une réunion se tint alors à Meerssen, fin février 847, pour résoudre le différend. Lothaire en garda d'ailleurs une certaine rancoeur. Ce n'est qu'en 849, et en partie grâce à l'intercession du pape, que Gieselbert obtint le pardon et fut reconnut comme gendre.
Berthe, une fille plus âgée, marièe de bonne heure et mère d'une fille nommée Bobila, prit la résolution d'entrer au couvent après la mort prématurée de son mari. Elle devint abbesse de l'abbaye Saint-Pierre d'Avenay près de Reims. Bobila devint moniale avec sa mère. La date de l'entrée au couvent n'est pas connue mais en 849 elle apparaît comme abbesse dans un échange de correspondance avec Hincmar l'archevêque de Reims. Même sa mère, l'impératrice, intercéda auprès de l'archevêque de Reims pour la restitution de biens à l'abbaye.
Gisèle, une troisième fille, fut placée par sa mère à l'abbaye Saint-Sauveur de Brescia. Louis le Pieux accorda le bénéfice de cette abbaye à sa première femme en 819 et grâce aux reliques de Sainte Julie elle fut appelée abbaye Sainte-Julie. En 835 c'est la femme de Lothaire qui en obtient le bénéfice. Le 16 mars 1848, Lothaire renouvela cette donation à sa femme et, sur la demande insistante de celle-ci, également à Gisèle, après la mort de sa mère.
Après s'être occupée du destin de Gisèle, Ermentrude se préoccupa de sa plus jeune fille , Rotrude, née à Pavie en 835. Elle envisageait de lui donner en cadeau de mariage la villa d'Erstein où elle avait l'intention de fonder un monastère pour elle et sa fille. Après l'installation de Gisèle à Saint-Sauveur elle prit la décision de mettre en œuvre son plan à Erstein.
En ce temps là, le Pape Léon IV, qui venait d'accéder au trône le 10 avtil 847, envoya une délégation à Lothaire. Le pape avait entrepris d'entourer de remparts la ville de Rome et spécialement la basilique Saint-Pierre après un pillage des sarrazins. Cette entreprise était déjà prévue par son prédécesseur Léon III (795-816) sans pouvoir la réaliser. Léon IV aussi maquait de moyens et c'est la raison pour laquelle il s'adressa à l'empereur. C'est l'évêque Joseph d'Ivrée qui conduisait la délégation qui fut un succès (mars 848). Lothaire et ses frères envoyèrent de grosses sommes de livres d'argent pour mener le projet à bien. La même année, le fils de Lothaire, Louis II, partit en campagne contre les sarrazins. Les remparts furent inaugurés le 27 juin 852 en grande pompe par l'ensemble des autorités religieuses de Rome.
Si Ermengarde envisageait la création d'un monastère à Erstein c'est parce que les circonstances de sa vie mouvementée aux côtés de Lothaire et les interminables querelles entre le père et envers ses frères, l'ont détournée des richesses matérielles. Devant l'incertitude du déroulement de sa vie sa pensée se tourna vers des aspirations spirituelles et elle décida donc de fonder ce monastère pour assurer ses vieux jours et se protéger en cas de veuvage. Elle désirait aussi remercier Dieu pour ses marques de miséricorde et de la protection qu'il a apporté face à ses ennemis. Elle pensait que son cadeau de mariage et les donations que lui avait faites son mari pouvaient servir à la réalisation ce projet.
Les moniales devaient être tenues, par leurs prières, d'assurer le bonheur et la protection de Dieu à l'impératrice, à l'empereur ainsi qu'à l'ensemble de l'empire franc. Elle plaça sa fille Rotrude, qui avait à peine 14 ans, sur le siège abbatial. Elle pensait aussi, par cette fondation, résoudre un problème social jadis récurrent. On a déjà vu comment son autre fille avait été enlevée par le comte Gieselbert. Ces enlèvements étaient une préoccupation constante des différents synodes et les filles de l'empereur y étaient particulièrement exposées. Cette fondation était aussi un moyen de protéger ses enfants.
Ermengarde pris donc la résolution de fonder un monastère destiné aux fille nobles dont les parents avaient rendus des services éminents à l'empire et dans les repect de la règle de Saint Benoit prévu par le décret de 817 pris par un synode d'Abbés réuni à Aix-la-Chapelle. Des fondations analogues existaient déjà dans le royaume des francs. Nous avons déjà évoqué le monastère d'Avenay ou celui de Saint-Sauveur de Brescia. Pour l'Alsace, nous connaissons Hohenbourg, Saint-Etienne de Strasbourg, Eschau et plus tard Andlau. Ermengarde prévint le pape de son projet et lui adressa une demande pour l'obtention de reliques. Cette démarche devait se situer en 847, année où le Pape fut élu au siège pontifical. A cette époque, la détention de prestigieuses reliques devait assurer au monastère sa célébrité et Rome était sollicité de toutes parts.. On alla même jusqu'à voler des reliques ce qui contraignait les détenteurs à mettre en place des mesures de protection. Si l'on obtenait une de ces précieuses reliques, on organisait un transfert solennel jusqu'à l'autel du lieu de culte, pour les y entreposer dans de précieux reliquaires. Le jour attribué au Saint et le jour du tranfert furent alors annuellement célébrés et l'endroit devint un lieu de pèlerinage.
Les choses se passèrent ainsi à Erstein. Ermengarde rappela au Pape son séjour dans la ville sainte, ses impressions de l'époque et peut-être même lui précisait-elle quelles reliques elle souhaitait obtenir. Le Pape profita de la délégation conduite par l'évêque d'Ivrée pour les fortifications de Rome pour joindre ses salutations à l'impératrice, exprimer sa joie d'apprendre la réalisation du monastère et pour transmettre les reliques. C'étaient les reliques de Sainte Cécile dont Ermengarde a visité avec piété l'église et le couvent à Rome, de Saint Urbain son ami, de Sainte Agathe dont le nom est lié au couvent de Rome, des martyrs Secundianus, Marcellinus et Verianus ains que celles du pape Sixte.
Alors Ermengarde démarra la construction du monastère dédié à la Vierge Marie sous l'invocation et Sainte Cécile et de Sainte Agathe exactement comme le monastère de Rome. Elle résolut aussi de procéder à l'élection libre de l'abbesse par les moniales après trois jours de jeûne. Le monastère dépendait directement de l'autorité spirituelle du Pape et temporelle de l'empereur. Les moniales devaient consacrer les prières de jour à la protection de l'empereur et de l'empire. Ermengarde pris soin de veiller aux besoins matériels des moniales.
Elle confia à l'évêque Joseph d'Ivrée le règlement du monastère pour obtenir sa confirmation par le Saint Père. Joseph d'Ivrée était accompagné de l'archichancelier Hiltuin et du prêtre Roland.
Lorsque les travaux furent terminés, Lothaire, pour montrer sa faveur envers l'entreprise et en plus de la confirmation des possessions des biens du monastère, donna le village de Gresswiller avec toutes les dépendances : maisons, églises, champs, vignes, prairies, forêts, cours d'eau et habitants des deux sexes ainsi que 4 houbes faisant partie du ban d'Erstein. Ces biens furent transmis en pleine propriété.
Quelque mois plus tard le pape Léon IV confirma le règlement du monastère (28 avril 850). mais Ermengarde n'eut pas le loisir de se réjouir longtemps de cette création car elle décéda le 20 mars 851 et fut enterrée dans la chapelle où étaient entreprosées les précieuses reliques.
A sa mort elle devait avoir environ 50 ans. Sa date de naissance précise n'est pas connue. L'errance continuelle aux côtés de son mari et l'épreuve du bannissement sont sans doute responsables de sa mort prématurée. C'était en toute occasion un personnage exceptionnel en ces temps troublés et agités par les passions. Malgré le peu d'informations que nous connaissons d'elle nous pouvons dresser son portrait.
Nous avons déjà précisé lors de son mariage avec Lothaire à Thionville qu'il ne s'agissait pas d'une mésalliance. Sa famille qui descendait du duc d'Alsace Adlaric comptait parmi la plus haute noblesse. Berthe, l'abbesse d'Avenay parle d'elle en ces termes :
«c'était une mère noble et une bienheureuse maîtresse, noble de naissance et dans la foi ».
A chacune de ses apparitions elle impressionnait par sa prestance. Sedilius, à l'occasion du mariage, fait l'éloge du courage qui se dégageait de son visage, de la blancheur de son teint avec ses pommettes roses, de son cou blanc comme la neige et de ses mains d'ivoire...
Elle avait une vénération particulière pour le trône pontifical qui s'exprimait en maintes occasions, à commencer lors de son mariage à Thionville ou à la remise des reliques. Nous pouvons trouver une preuve de cette vénération et de sa piété dans un poème de Sedulius où celui-ci décrit un tissu brodé par Ermengarde et relatant la vie de Saint Pierre, envoyé en cadeau au Pape. Nous retrouvons, dans une forme moins poétique, les mêmes louanges chez Raban Maur, l'abbé de Fulda et plus tard, archevêque de Mayence... Raban était un partisan de Lothaire et un ami intime d'Ermengarde et c'est lui qui a conçu leur épitaphe.
Paschase Radbert, un contemporain d'Ermengarde, et Baronio témoignent que c'était une personne d'une grande piété. Reginon de Prüm la décrit en 851 comme une « mère vénérable et soumise à Dieu ». Après sa mort, Angelome écrit à Lothaire pour le réconforter « de la perte de la sainte épouse ». Ceci prouve que sa notoriété restait grande même après sa mort. Elle était souvent dénommée Sainte Ermengarde bien que cette dignité ne lui fut jamais reconnue par l'église.
Ermengarde était vraiment un personnage émérite qui dépassait son époux dans tous les domaines. Lothaire le savait et lui a montré, toute sa vie durant, sa considération et son amour, en particulier à travers ses multiples donations.
Les actes laissés par Lothaire font référence à « l'action de notre chère épouse » et les faussaires qui plus tard cherchèrent à reproduire ces actes faisaient eux-même référence à ce qualificatif. Son influence était telle que l'on s'adressait souvent à elle pour obtenir son intercession.
Le jour de son décès fut célébré annuellement par le monastère par une messe des morts jusqu'au 16ème siècle. A cette occasion on distribuait du pain aux pauvres. Cette pratique, appelée « le don d'Ermengarde » s'est pousuivie jusqu'au 18ème siècle.
Raban rédigera plus tard son épitaphe dans la chapelle Saint Sixte qui se terminait par « le 20 mars 851 aux alentours de 6 heures du matin son cœur s'est arrêté de battre – qu'elle repose en paix »
Les reliques du monastère d'Erstein
La bulle du Pape Léon énumère à deux endroits différents le détail de l'envoi de reliques. Au premier nous trouvons Félix, Adauctus, Secundianus, Marcellianus, Veranius et Cécile. Urbanus , Sixtus et Aghate sont mentionnés au deuxième. On ne saurait dire si ceci est dû à la faute du scribe car l'original de la bulle a été perdu. On ne peut pas décrire la nature des reliques. Toutefois nous disposons d'un inventaire réalisé plus tard, établi à le demande de l'abbesse Marguerite de Geroldseck le 7 mars 1357 et en présence de l'ensemble des moniales.
Felix et Adauctus sont deux martyrs romains autour de l'an 304. Le premier était prêtre et lors qu'on le conduisit au supplice, le deuxième déclara ouvertement sa foi et fut exécuté avec lui. Comme le chrétiens ne connaissaient pas son nom ils l’appelèrent «le coadjuteur ». Des reliques de ces saints se trouvent à différents endroits et ils sont célébrés le 30 août.
Secundianus, Marcellanus et Veranius sont des martyrs toscans qui furent décapités par le consul Promotheus sous l'empereur Decius (249-251). Ils sont célébrés le 9 août.
Sainte Agathe est la célèbre martyr de Catane morte en 251 et célébrée le 5 février.
Le pape et martyr Sixte II fut capturé lors de la persécution de Valérien et décapité à l'entrée de la catacombe de Saint Calixte où il fut inhumé. Il est le plus célèbre martyr du 3ème siècle avec son diacre Laurent. Léon IV avait réunifié les couvents San Cesareo et San Simmetria appelé jadis San Sisto. Les reliques de ce pape, que l'on trouve à d'autres endroits, ont peu-être été prélevées à cette occasion.
Sainte Cécile est célébrée à Erstein le 22 novembre et Saint Urbain le 25 mai. Sainte Cécile, issue d'une célèbre famille noble, a souffert le martyr et succomba dans sa propre maison le 16 septembre 229 ou 230. Sa dépouille fut déposée dans la catacombe Saint Calixte avant d'être transférée dans celle de Praetextatus quand les lombards sous le règne d'Aistolf voulurent s'en emparer. C'est là que le pape Pascal 1er découvrit les ossements de la martyr et les tombes de Valerianus, Tiburius et Maximus pour les transférer à l'église Sainte Cécile.
L'évêque Saint Urbain tient une place de choix dans les martyrologes. Certains le voient comme pape, d'autres voient en lui l'évêque qui s'est enfuit vers Rome et qui a été supplicié par Marc-Aurèle ou Commode. Sa dépouille, comme celle de Sainte Cécile, fut extraite des catacombes et transférée à l'église Sainte Cécile en 821 et resta sous le maître-autel jusqu'en 1599, année où le cardinal Sfondrato fit ouvrir les tombes et trouva les restes dans un bon état de conservation.
Il résulte de ce qui précède que le monastère d'Erstein et peu-être Ermengarde pensaient détenir les ossements de la Sainte alors que, peut-être, il s'agissait des reliques d'une Sainte qui portait le même nom. Mais ce n'était pas un obstacle pour la vénérer, ainsi que Saint Urbain, et faire d'Erstein, durant tout le Moyen-Âge, un lieu de pèlerinage pour toute la région.
Les Fêtes de Sainte Cécile (22 novembre), Saint Sixte (6 août) et Saint Urbain (25 mai) étaient, au début ; l'occasion d'organiser aussi un marché annuel jusqu'à la Révolution.
La famille d'Ermengarde
Jetons encore un regard sur le destin de la famille d'Ermengarde.
L'année de son décès, au printemps 851 eut lieu une rencontre entre les trois frères scellant leur réconciliation. Lothaire, rongé par le remord, se retira au monastère de Prüm dans l'Eifel où il devait décéder, 6 jours après son entrée, le 29 septembre 855. Son corps fut découvert en 1861 dans la basilique Saint Sauveur et l'empereur Guillaume lui fit ériger un tombeau en marbre.
Louis II, le fils aîné d'Ermengarde, dont la naissance fut célébrée par Sedulius Scotus, succéda à son père comme empereur et mourut le 12 août 875 à Brescia sans laisser de descendance. Il est enterré à la basilique Saint Ambroise de Milan.
Saint Antonin. Par le traité de Meerssen du 8 août 870, Louis le Germanique et Charles le Chauve se partagèrent son royaume et Erstein, qui est même mentionné dans le traité, fit donc depuis cette date partie de l'Allemagne.
Charles, le roi de Provence, était le plus jeune fils. Il était de santé fragile et souffrait d'épilepsie ; il s'est éteint le 24 janvier 863 et fut enterré à l'abbaye Saint-Pierre de Lyon. Lothaire II fit une donation à cette abbaye pour le repos de l'âme de son frère, de ses parents et de Waldrade.
Quant au filles, Berthe, l'abbesse d'Avenay fut célébrée dans plusieurs poèmes de Sedulius Scottus. Elle décéda en 865 car cette année là Theuteberge, l'épouse répudiée de Lothaire II, devint abbesse d'Avenay à la place de sa belle-sœur.
Hiltrude est veuve en 867. On sait peu de choses sur elle si ce n'est que son frère s'empara de ses biens et les donna aux Normands.
Ermengarde, l'épouse de Gieselbert avait une fils qui s'appelait Régnier dont un descendant, Régnier au long col devint une des plus puissants ducs de Lorraine, avant sa chute. Père et fils devinrent abbés laïcs de l'abbaye d'Echternach.
Gisèle, l'abbesse de Saint-Sauveur de Brescia fut confirmée par Louis II dans sa possession de l'abbaye le 19 mai 856. Elle s'éteignit le 28 mai 862.
Enfin Rotrude, la plus jeune fille d'Ermengarde décéda la dernière. Un acte de l'empereur Arnulf de 889 concernant le monastère de Lorch, lieu de sépulture de Louis le Germanique, fait état d'une certaine Rotrude, « chère parente », qui n'est autre que notre abbesse d'Erstein. Arnulf lui fit une donation à vie de biens situés à Brumath. A la demande de Rotrude, Arnulf fit aussi une donation, de biens situés près de Metz, au bénéfice d'un médecin nommé Amandus.
En mai 895, Arnulf convoqua une diète ainsi qu'un synode à Trebur en Hesse. 27 évêques, plusieurs abbés et beaucoup de religieux étaient présents et parmi eux l'évêque Baldram de Strasbourg et Rotrude l'abbesse d'Erstein...
Rotrude devait décéder dans les premières années du 10ème siècle à l'âge d'environ 60 ans et fut enterrée dans la chapelle des reliques. Selon Grandidier l'épitaphe aurait été : « sépulture de Sainte Rotrude, première abbesse et fille de Sainte Ermengarde fondatrice du monastère»...
Louis, le dernier carolingien, appelé aussi l'enfant, vint à Nordhouse en 906 près d'Erstein en passant par Metz et Strasbourg où il rédigea un acte en faveur de l'église Saint Cyriaque de Worms et il est très probable qu'il rendit à cette occasion visite au monastère d'Erstein.
Le fonctionnement du monastère
Dans l'acte de rattachement de l'église de Westhofen au monastère d'Erstein de 1330, le pape Jean XXII utilise la formule «de l'ordre de Saint Augustin ». Dans une notice des archives du Vatican de la même année on trouve la dénomination « abbatiale et monastère bénédictins d'Erstein ». La dernière abbesse Marguerite de Lützelstein invoque quant à elle tantôt le père de l'église, tantôt le fondateur de l'ordre...
La question du caractère monastique de la fondation est à mettre en relation avec les discussions qui entourent d'autres fondations de même nature.
Le monastère d'Erstein n'est pas unique en son genre et ressemble aux nombreuses fondations mérovingiennes de l'époque des francs et pas seulement en France ou en Allemagne. Citons : l'abbaye Saint-Glossinde de Metz, Saint-Pierre d'Avenay, Sainte-Croix de Poitiers, Saint-Julien d'Auxerre, Remiremont, Beaume -les-Dames, Nivelles en Belgique, Pfalzel et Irmine près de Trèves, Sainte-Marie-du-Capitole à Cologne, Sainte Cécile de Cologne, Saint-Etienne de Strasbourg, Mont Sainte-Odile, Eschau, Säckingen, Waldkirch, Maria Mûnster de Worms, Andlau, Essen, Gandersheim, Quedlinbourg et Epinal. Les règles observées dans ses institutions étaient assez mal connues si bien qu'à la suite de l'intervention des autorités religieuses toutes sortes de rumeurs circulaient à leur égard.
Les chanoinesses ont pris la succession des sanctimoniales et des vierges laïques qui vivaient retirées au début du christianisme. Des vierges, sous le contrôle d'une veuve parfois plus âgée, se regroupèrent pour réaliser toutes sortes de missions pastorales - visite des pauvres, soins aux malades, travaux d'entretien pour l'église etc … Cet état de diacre a survécu aux exodes et a été codifié plus tard par Louis le Pieux sous la règle dite d'Aix-la-Chapelle. Les rois et les grands seigneurs de l'époque mérovingienne veillaient à la création et à l'entretien des ces institutions. Ce n'est qu'à partir du 12ème siècle que l'on désignera leurs membres par le nom de chanoinesses.
Ces institutions étaient à l'origine liées à l'église et assistaient le curé de la paroisse dans ses tâches pastorales. Les religieux étaient des chanoines, eux-même regroupés en chapitres. Le nombre des chanoines d'un chapitre était variable : 4,7,12,20. Nous ne connaissons pas leur nombre à Erstein.. Au 13ème siècle, trois sont cités : dont le pléban, et le chef de chœur. Encore au début du 16ème siècle, le curé de la paroisse d'Erstein, en tant que successeur du chanoine pléban, assisté des chapelains, devait assurer la messe à l'abbatiale aux jours de fêtes bien définies.
Faisant partie du monastère, les chanoines étaient désignés par l'abbesse. L'investiture comme chanoine se faisait par le chapelain de l'abbaye, le chanoine le plus âgé. Lors de l'accès au chapitre, le postulant devait jurer fidélité à l'évêque, à l'abbesse et au chapitre et veiller au respect des statuts et des usages de la fondation pour le bien de l'église.
Les chanoines habitaient en dehors de l'abbaye dans des bâtiments appartenant au monastère. Ils ne pénétraient dans l'église qui se trouvait dans le monastère seulement pour célébrer la messe...
Le nombre de prébendes dépend des fondations. Il y en avait 12 à Andlau, 30 à Saint-Étienne et 50 à Essen...Au 13ème siècle il y avait 3 chanoines pour 12 chanoinesses. Au 14ème siècle on trouve encore 6 prébendes qui étaient occupées..
L'admission des chanoinesses se faisait vraisemblablement par cooptation. L'âge le plus jeune pour entrer au monastère était entre 6 et 7 ans. On les appelait d'abord les filles ou les jeunes élèves de l'école qui était conduite par les chanoinesses plus âgées. Après avoir terminé leur scolarité elles étaient admises comme chanoinesses et pouvaient bénéficier d'une place dans le chœur et d'une voix au chapitre. Il n'y avait pas de prononciation de vœux, elle promettaient simplement d'obéir à l'abbesse et de rester chastes pendant la période où elles étaient dans le monastère.
Les chanoinesses avaient pour obligation de participer à l'école durant les premières années et, plus tard, d'occuper les différentes fonctions du monastère et de pratiquer la charité chrétienne en participant aux travaux de l'hôpital, en réalisant les vêtement de l'ordre ou en vacant aux travaux de l'église.
L'hôpital était une particularité de ces fondations. Les filles pauvres ou les veuves dans le besoin y trouvaient refuge et nourriture. Près du monastère Hohenbourg, la chapelle Saint-Nicolas nous rappelle l'existence d'un tel Xenodichium. A Erstein aussi se trouvait un tel établissement...
Les chanoinesses menaient une vie faite de retraite et de piété. Au tintement de la cloche elles devaient immédiatement se rendre à l'église où chacune avait son siège. Certains jours elles priaient en compagnie des chanoines. C'était le cas à Erstein aux fêtes suivantes : à l'Assomption (15 août), à la fête des martyr Felix et Adauctus (30 août), à la nativité de Marie (8 septembre), à la Toussaint , au jour des morts, à la présentation de Marie au Temple (21 novembre), à la fête de l'immaculée conception (8 décembre), à Noël, à Nouvel-an, à la fête des roi mages, à la chandeleur, à l'annonce faite à Marie, au dimanche des rameaux, au jeudi saint, au vendredi saint, au samedi saint, au lundi de Pâques, à l’ascension, à la pentecôte, à le fête-Dieu, à la visitation de Marie à sa cousine, à la fête des reliques (6août)...
Petit à petit, la vie en communauté se délitait. C'est le dortoir dans lequel brûlait une lampe toute la nuit qui disparut en dernier. Le réfectoire commun fut abandonné. Chaque chanoinesse, entourée de ses serviteurs, avait ses propres appartements dans l'enceinte du monastère et qui appartenaient à ce dernier. Elles ne renonçaient jamais à leurs biens matériels et les emmenaient au monastère et si ceux-ci étaient importants, elles étaient entourés de ministériels qui se chargeaient de leur gestion.
Les chanoinesses touchaient une bourse sous forme d'argent ou de rente qu'elles soient présentes au monastère ou non et elles avaient le droit de participer au repas pris en commun.
La chanoinesse ne restait pas enfermée au couvent et séparée du monde. Elle pouvait quitter le monastère, rendre visite à sa famille et pour ce faire elle pouvait disposer de la voiture du monastère. Elle avait aussi droit à des vacances annuelles qu'elle consacrait aux voyages pour parfaire sa formation. Ces vacances duraient de 6 à 8 semaines.
Au 13ème siècle, le cardinal Jacques de Vitry, dit en parlant des chanoinesses : « après avoir profité des biens du Seigneur elle quittent l'église et leur fonction, se marient avec l'élu de leur cœur et se transforment en mères de famille nombreuse ». Car les chanoinesses ne prononçaient pas de vœux, elles entraient librement au couvent avec l'assurance qu'elles pouvaient en sortir à tout moment, notamment pour se marier.
Si la chanoinesse mourait, elle était enterrée au cimetière du monastère. Les abbesses trouvaient souvent leur dernière demeure dans l'abbatiale même. Les prébendes dont elle jouissait étaient versées encore un an après la mort, cette pratique s'appelait « l'année de grâce ».
La personne qui dirigeait le monastère portait le titre d'abbesse. Elle s'occupait des affaires intérieures et extérieures du monastère : la vie matérielle des chanoinesses, les bénéfices auxquels elles avaient droit, l'entretien des bâtiments, la surveillance et l 'éducation des chanoinesses et la discipline. Parmi ses obligations religieuses nous trouvons aussi le lavement annuel des pieds de 12 chanoinesses ou pauvres femmes.
L'abbesse était désignée à la majorité par le chapitre et confirmée par l’Évêque et par le Pape. L'abbesse élue et confirmée prononçait aussi des vœux de chasteté. L'âge auquel l'abbesse était éligible devait se situer aux alentour de 40 ans. L'abbesse disposait aussi de son propre sceau apposé en même temps que le sceau de l'abbaye au bas des actes.
En ce qui concerne l'autorité religieuse et les formalités qui ne pouvaient pas être remplies par une femme, l'abbesse était représentée par un chanoine nommé chapelain.
Parmi les fonctions du monastère nous trouvons : la préposée ou représentante de l'abbesse et désignée par elle, la doyenne élue par le chapitre, la custode chargée des ornements, des reliques et du vin de messe, la « scholastica » qui dirigeait l'école pour permettre aux chanoinesses d'acquérir un savoir et un savoir-faire dans tous les domaines : travaux manuels et beaux-arts, apprentissage du latin, lecture des auteurs religieux et classiques, histoire et pratique des chants religieux. Les élèves étaient aussi entraînées à l'écriture. Dans ce domaine, le monastère de Hohenbourg s'est particulièrement distingué alors que pour Erstein nous ne disposons que de peu d'informations.
A la fin de leur scolarité, beaucoup d'écolières restèrent au monastère, intégrèrent le chapitre et revêtirent le manteau et le voile. D'autres retournèrent dans leur famille et se mariaient.
A côté des chanoinesses le monastère comptait aussi beaucoup de serviteurs et de servantes pour la cuisine , le jardinage, la boulangerie etc...
Les actes du monastère étaient établis au nom de l'abbesse et du chapitre. Le chapitre général comprenait l'abbesse, les chanoinesses et les chanoines. Les chanoinesses ne pouvaient prétendre au
chapitre qu'à l'issue de leur scolarité. Les chanoines faisant partie du chapitre devaient être au moins sous-diacres. Les séances du chapitre se déroulaient au capitulaire et étaient annoncées
par le tintement de la cloche. Les chapitres ordinaires se déroulaient une fois par mois et les extraordinaires en fonction des nécessités. A côté du chapitre général il y avait aussi des
chapitres particuliers pour les chanoines ou les chanoinesses.
Les chanoinesses ne portaient pas de vêtements particuliers au haut Moyen-Âge. La règle d'Aix-la-Chapelle prévoyait seulement des habits de laine et de lin confectionnés par les moniales
elles-même. Les sous-vêtements étaient en lin et le manteau en laine. On les appelait les nonnes blanches par opposition aux bénédictines qualifiées de nonnes noires. A côté de l'habit blanc et
du manteau noir elles portaient un voile.
Les chanoinesses ne portaient leur habit traditionnel que pendant les offices sinon elles étaient en civil...
La gestion des biens de l'abbaye était naturellement du ressort de l'abbesse. L'hôpital, la fabrique de l'église , l'entretien des bâtiments et la gestion des prébendes faisaient l'objet d'une administration particulière. Le monastère n'entretenait qu'une petite partie du domaine, le reste était loué à des métayers ou des paysans détenteurs de houbes pour des durées de 3 à 40 ans, qui devaient s'acquitter des intérêts. C'est ainsi que nous devons nous représenter la vie au monastère d'Erstein qui diffère de nos conceptions actuelles. Son organisation comportait des zones d'ombre discutables qui sont à l'origine de la disparition du monastère pendant la période de déclin de l'église.
Nous ne voulons pas clore ce chapitre sans relever une des particularités du monastère, son statut d'immédiateté dans les domaines spirituels et temporels.
Ermengarde avait fondé le monastère pour que les moniales prient pour l'empereur et pour l'empire. L'empereur promit de placer la fondation sous sa protection et ceci est spécifié dans un acte de Lothaire datant de 849 dans lequel il a aussi offert à Erstein le couvent de Gresswiller. Le Pape Léon IX reconnaît lui aussi ce fait dans une bulle datant de cette époque...
Erstein était donc une abbaye impériale qui dépendait du siège pontifical pour les questions spirituelles...
C'est donc l'empereur qui assurait la fonction d'avoué, pas personnellement, mais par l'intermédiaire de son représentant. C'était d'abord les comtes de Nordgau de la maison d'Eguisheim-Dabo. Après l'extinction de cette maison la mission était dévolue au landgrave. Le premier titulaire de cette charge était Gottfried, Le fils de Folmar I de Metz et de Spanehilde d'Eguisheim en 1089. C'était ensuite le tour de son fils Dietrich d'Hunebourg et du fils de celui-ci, le comte Gottfried II de Hunebourg qui est mort sans héritiers. De 1180 à 1197 le landgraviat de Basse-Alsace était assuré par l'empereur en personne. La fonction allait ensuite au comte Sigisbert de Werde ; la maison de Werde dont le dernier représentant était Jean II mort en 1370. Encore du vivant de ce dernier, le landgraviat est allé au mari de sa sœur Adélaïde, Frédéric d'Oettingen. Son fils, Louis le jeune vendit en 1359 la charge à l'évêque de Strasbourg Jean de Lichtenberg. Toutefois, l'acte de vente ne mentionnait pas la fonction d'avoué du monastère qui était assuré par les représentants de l'empereur qui résidaient à Haguenau. Lors de la dissolution du monastère et du transfert des biens à l'évêché ce droit impérial d'avocatie pris fin.
Les années fastes du monastère d'Erstein
Par deux fois, les hordes hongroises traversèrent le Rhin (917 et 925). Ces raids mirent la campagne à feu et à sang. Comme Murbach en Haute-Alsace et Eschau en Basse-Alsace, Erstein en fut
victime mais se releva toutefois de ses cendres.
Henri 1er, l'artisan de
l'empire allemand, procéda à l'unification du duché d'Alsace avec celui d'Alémanie (Souabe). Cette unification dura jusqu'à la disparition des Hohenstaufen (1254). Le premier duc était Burckard
1er (921-926), beau-père du roi Rodolphe II de Bourgogne par sa fille Berthe, future belle-mère d'Otton 1er et mère de l'impératrice Adélaïde, abbesse d'Erstein. Nous ne savons pas si Henri 1er a
visité Erstein, par contre, son fils Otton 1er s'y rendait souvent.
Les empereurs allemands n'avaient pas de résidence fixe mais se allaient en différents endroits de l'empire en fonction des nécessités. Il s'arrêtaient sur leurs terres ou sur les terres
impériales mises à leur disposition à charge pour les détenteurs d'assurer les besoins de la cour. Pour accueillir la cour on utilisait une résidence impériale. Les ducs, comtes évêques et
monastères profitaient du passage de l'empereur pour obtenir une donation ce qui donnait lieu à la rédaction de nombreux actes qui attestent de la présence de l'empereur.
A Erstein il y avait aussi une telle résidence, assez simple d'ailleurs, mais qui pouvait accueillir la cour et même servir de lieu de sessions pour les diètes. L'endroit s'appelle aujourd'hui
« Königrain » et est occupé maintenant par une villa appartenant à la filature de laine peignée (Kammgarnspinerei). L'accès se fait par la rue de la Rebmatt. Dans le haut-moyen-âge il y
avait une construction plus imposante qui portait le nom de Kirchburg et ce fait, la porte de la ville située à proximité s'appelle Kirchburgergtor. C'était la résidence des comtes de Werde,
landgraves de Basse-Alsace. On pouvait encore en voir des vestiges après la Guerre de Trente Ans car le premier bailli français, François Théodore Rothfuchs, possédait la Rebmatt où était situé
le « Rebmattenschloss » et un autre château nommé « alten Schloss ». On pouvait encore deviner au 19ème siècle le monticule de terre entouré de douves.
Otton 1er vint à Erstein pour la première fois en mars 952, après son retour d'Italie où il a enlevé Adélaïde des
griffes de Berenger pour l'épouser. Nous pouvons admettre qu'Adélaïde était également présente. Le 10 mars il fit don à Erig,
serviteur du monastère Felix et Regula de Zurich du domaine Rifers, le 12 mars il accorda à l'église de Coire l'intégralité du bénéfice des droits de passage « sur intercession de notre cher
ami Bruno » qui devait donc aussi être présent.
En 953 Otton apparut de nouveau à Erstein avec une suite encore plus importante. Il avait fêté Noël à Francfort en compagnie de sa mère, la future Sainte Mathilde et de sa belle-mère Berthe qui avait rendu visite à sa fille Adélaïde. Les trois reines accompagnèrent Otton à Erstein.
Le 13 février, Otton confirma à l'église de Strasbourg, à la demande de l'évêque Utos, le privilège des douanes. Le 24 février 935 il ordonna la restitution, après justifications par témoins, de
certains biens situés en Alsace à l'abbaye de Coire. Notamment l'église de Sélestat avec domaines et droits de dîme, des domaines à Kinzheim, Odolsheim (?), Breitenheim, Schwobsheim, Guémar et
Winzenheim ainsi que l'église de Mauchenheim avec ses dépendances. L'acte est cosigné par Hartpertus évêque de Coire et Bruno archichancelier et frère de l'empereur. Cet acte fut rédigé au cours
d'une diète qui se tenait à Erstein.
A cette occasion Otton fit don à sa belle-mère Berthe, la reine de Bourgogne qui était veuve, des bénéfices du monastère à vie. L'empereur attacha, selon toute vraisemblance, beaucoup de prix au
lien qui unissait la maison de Saxe à ce monastère qui accueillait des chanoinesses issues de la haute noblesse de l'empire.
En mai 961 nous retrouvons Otton pour la troisième fois à Erstein. De 961 à 965 il était en Italie avec Adélaïde. Il vint à Erstein en passant par Coire, Constance, Reichenau, Ingelheim et
Wiesbaden. A la demande de son épouse il accorda à l'abbé Gerbodo le droit de marché à Wiesloch. L'impératrice était aussi
intervenu en faveur de l'abbaye Saint-Martin de Disentis.
En l'an 962, la reine Berthe de Bourgogne, abbesse d'Erstein, a fait une donation à Saint Mayeul, abbé de Cluny, pour la
fondation du monastère de Payerne, jadis capitale de la Bourgogne transjurane. Berthe s'est éteinte en 970 et fut inhumée à Payerne. Sa tombe se trouve dans l'église paroissiale protestante où
l'on a trouvé ses ossements en 1864.
Otton II, le fils d'Otton I et d'Adélaïde né en 955, accéda au pouvoir en 973. De fin juillet à début août il était à Erstein pour la tenue d'une diète. A la même époque décéda Saint Ulrich, l'évêque d'Augsbourg. Issu de la famille des Dillingen il était apparenté par sa mère aux ducs de Souabe et à la
maison de Bourgogne (Berthe et Adélaïde). En vue de la nomination du successeur d'Ulrich, beaucoup de religieux et de laïcs issus de nobles familles se dirigèrent vers Erstein. Arrivés à Baden
Baden ils apprirent la nomination de Henri,
le fils du comte Bourcard et s'en retournèrent sans atteindre Erstein.
C'est de cette époque que date la donation d'Ebersheim au monastère d'Erstein. Ebersheim faisait partie du cadeau fait par l'empereur à Adélaïde (Morgengabe). C'était un don à vie, Otton
abandonnait donc par là même son droit de succession au profit d'Erstein.
En l'an 975, Otton fêta Noël à Erstein et y resta jusqu'en janvier. L'impératrice Téophanie, nièce de l'empereur
byzantin Tzimiskès, accompagnait son
mari. Elle intervint, en même temps que Erchenbald évêque de Strasbourg et que Willigis archevêque de Mayence et à la
demande de l'abbé Folkerne de Schuttern, pour la confirmation des biens de l'abbaye. La même année, en décembre, les
deux prélats ordonnent Gaminolf comme évêque de Constance.
Deux actes du 26 et du 28 décembre concernent l'abbaye d'Einsiedeln. Le premier précise la confirmation
de biens en Rhétie légués par Otton I à l'abbaye et dans le deuxième il entérine l'élection de l'abbé...
A cette époque, saint Cadroé séjourna à Erstein. Cadroé était le fils de Fochertach d'Ecosse, de sang royal, très riche
et marié à une veuve nommée Bania. Leur union fut longtemps stérile, ils se tournèrent vers saint Colomban et et leur vœu fut exaucé. Un oncle, qui était religieux, l'aurait dirigé vers une
carrière ecclésiastique. Toutefois son père ne donna son accord qu'après la naissance d'un deuxième fils. L'oncle envoya alors son neveu en Irlande auprès du savant Artmachus. A la suite d'une
apparition il entreprit des voyages. Malgré les objections de ses parents et du roi Constantin et en
passant par Cumberland et York il se dirigea à Londres où il conjura un incendie. Avec douze compagnons il alla à Boulogne pour rejoindre d'abord le monastère de Péronne. Il obtint de la comtesse
Hersinde le sanctuaire de Saint-Michel en Thiérache ou les treize menèrent une vie faite de privations. Cadroé fut
élu comme « seigneur et père ». Cadroé refusa et ce fut Macclan qui prit la direction du groupe. Les treize avaient en vue de créer un véritable monastère ; la comtesse envoya
alors Cadroé à Fleury et Macclan à Gorze, deux monastères réputés à l'époque, pour leur éducation à la vie monastique. A leur retour Macclan devint abbé du nouveau monastère créé par la comtesse à Waulsort près de Dinant et Cadroé prieur (946). Comme Macclan avait conservé la direction de Thiérache il confia celle de
Waulsort à Cadroé. La notoriété de sainteté de Cadroé gagnait en ampleur à travers les guérisons miraculeuses qu'il réalisa. Il attira l'attention de l'évêque Adalberon
I qui le nomma abbé de l'abbaye Saint-Clément de Metz, fonction qu'il occupa jusqu'à sa mort en
978.
Dans les dernières années de sa vie il entreprit encore un voyage à Erstein. En l'an 978 , alors qu'elle se rendait en Italie, Adélaïde fit une halte à Erstein. Otton I avait déjà apprécié
l'action réformatrice de Cadroé et de Jean de Gorze. Adélaïde, qui avait déjà connu beaucoup de saints dans sa vie et
frappée par la réputation et les actions de Cadroé, lui demanda de venir à Erstein pour qu'elle puisse avoir la joie de le rencontrer. Les messagers de l'impératrice et l'évêque Thierry persuadèrent Cadroé d'entreprendre ce voyage. Il se mit donc en route sachant pertinemment que ses jours étaient
comptés...
Lorsque l'on avertit Adélaïde de son arrivé à Erstein elle sortit de la ville pour aller à sa rencontre. Il devait y rester 4 jours, peu-t-être plus. L'impératrice ne voulait pas le laisser
partir. Il accepta de prolonger son séjour de deux jours supplémentaires. Lors d'un petit-déjeuner, alors que l'impératrice était à table entourée de sa cour, un serviteur qui chercha du bois
pour alimenter le feu de la cheminée, tomba de la grange et se brisa les jambes. On le transporta auprès de Cadroé qui d'un signe de croix le fit se relever sain et sauf. La nouvelle se propagea
mais Cadroé pria l'assistance de ne plus en parler.
Après cela, il se mit sur le chemin du retour et sentant qu'une fièvre s'emparait de lui il demanda à ses compagnons de route de se dépêcher pour rejoindre le monastère. Mais Dieu en avait décidé autrement, Cadroé mourut en cours de route et c'est mort qu'on l'amena à l'abbaye. Le jour de sa mort est célébré le 6 mars.
Otton III n'était qu'une fois à Erstein, pour fêter Noël en l'an 994. Le 26 décembre il fit don au monastère
de Seltz, créé par sa mère et qui devait être présente, de différents biens personnels : deux églises à Lupstein et à Schweighouse s/Moder, trois chapelles, trois forêts et deux
moulins.
A la demande de sa sœur Sophie il fit une donation le 29 décembre de 5 manses près de Schaffhouse et d'une forêt
située entre Wila et Schaffhouse au monastère de Waldkirch.
Adélaide, qui séjournait certainement souvent à Erstein, y vint encore une fois peu avant sa mort. En avril 999 elle était à Erstein et confirma une donation en faveur du monastère Saint-Sauveur
de Pavie qu'elle avait fondé. Son cœur devait être touché à la pensée des chers parents qu'elle avait rencontrés à Erstein : son mari Otton I disparu il y a longtemps, sa mère Berthe, sa
belle-mère sainte Mathilde, son fils Otton II et le saint Cadroé. De tous, elle seule restait encore en vie. En se remémorant sa vie mouvementée elle devait souvent penser à la fondatrice de ce
lieu qui eut un destin analogue. Étaient-ce ces souvenirs qui l'attiraient si souvent dans ce lieu ? En tout cas elle a imité Ermengarde en fondant un monastère à Seltz qui allait lui servir de
dernière demeure. C'est là qu'elle mourut le 16 décembre 999 et fut enterrée dans l'abbatiale. Un beau monument, a été placé depuis peu devant l'église paroissiale de Seltz en souvenir de la
sainte impératrice et bienfaitrice de l'Alsace.
Henri II était le dernier empereur de la maison de Saxe , marié à Cunégonde, la fille du comte Siegfroid de Luxembourg. Henri et Cunégonde ont d’ailleurs été plus tard, tous deux, canonisés par l'église. Henri et son épouse se trouvèrent à Erstein en 1006 car, à la demande de cette dernière, il confirma les donations faites par ses prédécesseurs à l'abbaye de Coire et différentes libéralités. Le 10 juin il mit la dernière main à un acte confirmant des libéralités au bénéfice de l'évêché de Liège.
Lors d'un deuxième passage, la même année, il était aussi accompagné par Cunégonde. Il accorda cette fois des libéralités à Niedermunster (Unterkloster Hohenburg). L'évêque Werner, son ami intime, était intervenu à cette occasion.
Henri II, accompagné de son épouse, vint à Erstein une troisième fois peu avant sa mort. Toujours à la demande de Cunégonde il a fait le 29 octobre 1023 une donation à l'abbaye de Rheinau d'un bien situé dans le Klettgau. Le 4 novembre il fit encore don d'un bien situé près de Kunheim à l'abbaye d'Erstein par un acte daté de Strasbourg.
Henri II décéda le 13 juillet 1024 à Grona près de Göttingen et fut enterré dans sa fondation à Bamberg. Son épouse Cunégonde se retira dans le monastère fondé par elle à Kaufungen où elle décéda le 3 mars 1039. Elle fut enterrée au côté de son époux.
C'était alors la fin de la maison de Saxe et également celle du rayonnement de l'abbaye d'Erstein. Erstein était devenu une étape en Alsace pour le empereurs. Parmi les chanoinesses se trouvaient des membres des plus grandes familles de la noblesse allemande ce qui conférait au monastère également une influence politique. Si l'on tient compte du nombre de personnalités religieuses qui se sont rencontrés à Erstein, évêques et saints, on peut en déduire que l'influence spirituelle de l'abbaye était grande. Le second successeur de Henri II, le salien Henri III poursuivit encore la coutume. Mais après lui les visites des empereurs cessèrent progressivement.
En 1032 décéda Rodolphe III de Bourgogne, un descendant de Berthe, et la Bourgogne fut incorporée à l'empire. Henri III fit son premier séjour à Erstein à Nouvel-An de l'année 1042. Le 3 janvier il fit don à l'évêque Bruno de Würzbourg des biens du défunt Herold de Sinderingen. D'après la date de l'acte on peut penser qu'il a aussi passé les fêtes de Noël. A cette époque il était veuf et il épousera plus tard Agnès de Poitou qui suivit l'exemple d'Adélaïde et de Cunégonde en faisant don au monastère d'Erstein d'un domaine situé à Besigheim. En guise de remerciement les chanoinesses organisèrent une célébration annuelle pour le repos de l'âme de la bienfaitrice. Nous ne savons pas si Agnès était présente à Erstein à cette occasion.
L'inexorable déclin du monastère
Les visites des empereurs à Erstein, qui furent l'occasion de rédaction d'actes, sont pour nous une source d'informations historiques locales. Ce que nous savons par la suite résulte d'informations plus fragmentaires. Ce n'est qu'au 14ème siècle que nous disposons à nouveau d'informations plus complètes issues des archives du monastère et incorporées par la suite dans celles de l'évêché de Strasbourg.
Le Pape Léon IX, issu de la maison de Dabo-Eguisheim est incontestablement le personnage le plus illustre d'Alsace et ceci tient principalement au fait qu'il a jeté les bases de la grande réforme de l'église qui va connaître son aboutissement sous Grégoire VII. Élu en 1049 il est décédé en 1054 et pendant ce si court laps de temps il entreprit trois voyages en Alsace. De nombreux monastères et de nombreuses églises en Alsace sont fières d'avoir pu accueillir le Pape et recueillir sa bénédiction. Le monastère le plus réputé était alors Erstein où les chroniqueurs évoquent deux visites du Pape mais celles-ci ne peuvent pas être prouvées. Le Pape a-t-il estimé que la visite à Erstein était inutile ou le désordre qui régnait déjà l'en a-t-il dissuadé ?
D'autres papes succédèrent à Léon IX et qui avaient soutenu plus ou moins les réformes initiés mais c'est l'énergie de Grégoire VII qui va les faire aboutir. Encore en tant que moine nommé Hildebrand il exerça déjà son influence sur les Papes pour la conduite de l'église. Nous nous intéresserons ici surtout au synode du Latran de 1059 sous le Pape Nicolas II.
Le 1er mai de cette année, le sous-diacre Hildebrand fit une communication allant à l'encontre de certaines dispositions prises par Louis le Pieux, mais en fait dirigée contre certains désordres en Lombardie et dans certaines parties de l'Empire. En faisant référence à la règle adoptée à Aix-la-Chapelles en 817 et appliquée lors de la fondation du monastère d'Erstein il s'exprima ainsi :
« De nombreux chanoines qui aspirent à une morale plus pure sont paralysés par certains chapitres dont les règles de fonctionnement, ont été définis par un inconnu. Certes, ils font référence à la pauvreté qui doit présider à la bénédiction de la vie en communauté, mais en fait ils conçoivent que pour être adeptes du Christ il faut savoir protéger et accroître ses biens. » Il ajoute que dans quelques régions les règles ont ainsi été détournées.
Faisait-il référence à l'Alsace et peut-être au monastère d'Erstein ? La richesse et le faste du monastère d'Erstein étaient bien connus. Pourtant, à cette époque, la discipline ne s'est pas encore délitée. L'office était célébré de manière solennelle et dans la dignité. Les recommandations de Hildebrand ne pouvaient pas faire référence au désordre qui régnait au monastère mais au fondement même de l'institution, à sa constitution, ce sont ses statuts qui étaient visés. Mais il se trompe quand il prétend que cela ne concerne que quelques établissements, nous avons vu que de nombreux établissements en Allemagne et en France fonctionnaient sur ce modèle. Le rigoureux moine de Cluny commet une deuxième erreur quand il prétend qu'avant le synode de 817 la détention de biens personnels n'était pas tolérée.
Ce synode laisse en fait l'impression fausse qu'avant 817 la règle de Saint Benoît était observée et que c'est Louis le Pieux qui l'a transformée en sécularisant les monastères. En tous les cas, ces monastères, avec leur statut mi séculier mi régulier, ne correspondaient plus à l'esprit réformateur défendu par les clunisiens comme le futur Pape Grégoire VII. Avec Grégoire VII l'église prit un tournant plus rigoureux où ces monastères, dont le statut était plus souple, n'avaient plus leur place.
Il serait intéressant de connaître l'influence que cette transformation de l'église avait sur les monastère d'Erstein. Malheureusement nous n'avons que peu d'informations à cette époque sur le monastère et sur l'incidence de l'opposition entre la papauté et l'empire.
Cent ans après Léon IX la grande réforme aboutissait. Le concile de Reims de 1148 prit des décisions encore plus sévères que le synode du Latran de 1059 (Eugène III). Il adopte un ton plutôt désobligeant en parlant des chanoinesses. Elles doivent renoncer à leur prérogatives et devenir des moniales dans l'observance de la règle de Saint Augustin ou de Saint Benoît. Il préconise que les chanoinesses adoptent une manière de vivre plus humble, qu'elles renoncent à leurs habits superflus et restent durablement au monastère. Il recommande aussi qu'elles renoncent à leurs biens personnels et se contentent des biens de la communauté, qu'elles renoncent aux prébendes et se pour se satisfaire du réfectoire et du dortoir. Si elles ne se conforment pas à ces règles, pour la prochaine fête des apôtres Pierre et Paul, la tenue des messes dans l'abbatiale leur sera interdite. Et en cas de mort de l'une d'entre elles, l'enterrement religieux lui sera refusé.
A partir de là, les monastères de chanoinesses étaient condamnés en France. On ne tolérerait plus que des monastères de femmes soumis à la règle de Saint Benoît. Ce n'est que dans l'Est et principalement en Lorraine qu'ils vont perdurer dans le Moyen-Âge et conserver leurs anciens privilèges.
C'est au milieu du 12ème siècle qu'un empereur va rendre à nouveau une visite à Erstein : Frédéric Barberouse. Il est allé en pèlerinage à l'abbaye de Hohenbourg et s'est rendu à Erstein vraisemblablement sur invitation des chanoinesses qui avaient l'intention de vendre au margrave de Bade un bien à Besigheim jadis donné par Agnès de Poitou la femme de Henri III. En fait il est question dans l'acte de donation mais personne ne va croire que le monastère donne un bien à un laïc sans contrepartie... Frédéric Barberousse autorisa la vente à Erstein le 12 Juillet 1253. Étaient présents, outre les signataires, Conrad le frère de l'empereur, l'évêque Bourcard de Strasbourg, le comte Sigebert de Frankenberg, Werner de Habsbourg, Hughes IX de Dabo-Eguisheim, Bertold de Nürnberg et Louis de Wurtemberg. L'empereur était venu de Constance pour se diriger ensuite vers Uberlingen.
Peut-être Frédéric 1er s'est-il rendu plusieurs fois à Erstein, en tout cas les Hohenstaufen avaient choisi comme lieu de résidence en Alsace Haguenau. La forêt de Haguenau était plus giboyeuse que les forêts situées entre l'Ill et le Rhin. Les Hohenstaufen avaient le titre de ducs d'Alsace et sous leur règne l'Alsace connu une période faste. Lorsque Barberousse entra en conflit avec la Papauté le monastère semble avoir choisi le parti de l’empereur.
En 1159, c'est Alexandre III qui fut élu Pape par les cardinaux. Une minorité d'entre-eux se prononcèrent pour un partisan de l'empereur du nom de Victor IV. Cet antipape confirma le 16 juin 1162 les privilèges dont jouissait le monastère d'Erstein.
Le monastère d'Erstein joua également un rôle dans l'histoire littéraire allemande. Au temps de Frédéric 1er il y avait en Alsace un poète du nom de « Heinrich der Glichesaere » auteur d'une fable adaptée du roman de Renart « Reinhart Fuchs ». Cette fable relate toutes les méchantes farces de Reinhart. Après avoir offensé ses ennemis sa méchanceté s'adresse aussi à ses amis. Sur ses conseils le roi donne le royaume de Bohème en fief à un éléphant et élève un chameau du nom « Olbente » sur le siège abbatial d'Erstein. A son arrivée le premier fut roué de coups et le deuxième jeté dans le Rhin par les nonnes armées de leur plumes.
Reinhart Fuchs est une poésie mais on sait qu'au Moyen-Âge les auteurs s'autorisaient des références aux événements de l'époque. Frédéric Barberousse avait placé Relinde sur le siège abbatial de Hohenbourg pour amener de l'ordre, peut-être avait-il tenté la même chose à Erstein, contrecarré en cela par les chanoinesses de noble extraction..
L'année 1191 a eu une signification particulière pour l'histoire de la ville d'Erstein et du monastère. Depuis 1180 c'est l'empereur en personne qui assurait le landgraviat de Basse-Alsace. En 1190 Frédéric Barberouse perdit la vie au cours de la croisade et c'est son fils Henri VI qui devint empereur et alla à Rome en 1191. L'évêque de Strasbourg Conrad II de Hunebourg l'accompagna. Dans un camp situé entre Rome et Frascati, le 17 avril 1191, l'empereur fit don à l'évêque et à l'évêché, pour le remercier de ses services, et pour assurer le repos des âmes de son père, de sa mère Béatrix, de son frère le duc de Souabe et de tous ses proches, du monastère d'Erstein avec biens et ministériels...
L'évêque de Strasbourg ne resta pas longtemps en possession du monastère. Le 4 mars 1192, à la cour de Haguenau, l'empereur revint sur cette donation en précisant qu'il ne lui appartenait de disposer d'un bien impérial sans bénéfice pour l'empire. En guise de dédommagement, une amende de 1000 mark d'argent, pour moitié à charge du fisc impérial et pour moitié à charge de l'évêque, fut décidée. La même année, Sigebert de Frankenburg obtient la charge du landgraviat de Basse-Alsace duquel dépendait Erstein. Les deux événements me paraissent liés. Erstein appartenait au moins pour moitié au monastère et fut à cette occasion soustrait des biens du monastère et associé à l'autre moitié qui était fief impérial.
Les ministériels du monastère nous apportent quelques éclaircissements. Dès la fondation du monastère une communauté de plus en plus importante s'est développée autour du monastère. Les ministériels assuraient la protection et la gestion des biens du monastère et peu à peu asquirent leurs titres de noblesse. Leur insubordination, incompétence dans la gestion et autres manigances causèrent beaucoup de tort au monastère. En agissant à leur guise ils précipitèrent le monastère dans des difficultés financières qui incitèrent l'empereur à le céder à l'évêché. Mais c'était illégal si bien que Sigebert de Frankenburg prit la dette à sa charge et obtint en échange le landgraviat d'Erstein qui fut séparé du monastère. Par la même occasion Erstein obtint des droits comme la tenue d'un marché, l'édification de remparts et des armoiries. Le marché se déroulait à l'endroit qui porte actuellement le nom de Vieux-Marché. On créa les fonctions de Schultheiss et d'échevin. Les armoiries d'Erstein rendent compte de cette histoire car nous trouvons dans une moitié les armes des landgraves de Werde et dans l'autre le monastère avec ses deux portes. C'est dans cette union de symboles qu'on voulait rendre compte de l'histoire de la cité...
Le treizième siècle était un siècle de guerres et de désordres. Le 9 mai 1259 l'évêque Henri de Strasbourg assistait à un chapitre général réunissant les moniales et les chanoines. Le chapitre se déroulait dans le cloître et avait pour but l'augmentation des prébendes qui n'étaient plus suffisantes...
Le landgrave de Basse Alsace Jean de Werde (1278-1308) voulait faire d'Erstein, qu'il tenait en fief, une véritable place-forte et fit construire d'importants remparts. Cette entreprise créa des dissensions entre les moniales et les ouvriers et nécessita l'intervention de l'empereur Rodolphe de Habsbourg le 11 novembre 1281 à Strasbourg...
Avec le 14ème siècle se tourne la dernière page de la vie du monastère. Six abbesses présidaient encore à sa destinée : Collata de Riste, Marguerite de Geroldseck, Elisabeth de Strassberg, Lise de Dick, Elisabeth de Rappolstein et Marguerite de Lützelstein.
Après la mort de la dernière abbesse l'empire, en la personne du margrave de Bade, mis la main sur le monastère qui était un ancien bien impérial. En 1422 ce dernier désigne Rodolphe Zorn de Bulach comme avoué de l'abbaye. Du côté de l'église, le Pape désigna le doyen Martin de Saint-Pierre de Bâle pour veiller aux biens du monastère...
Les deux dernière chanoinesses se marièrent après la mort de la dernière abbesse. A Erstein même il ne reste plus aucun vestige du monastère. Si seulement on avait pu conserver l'abbatiale et la chapelle des reliques ! Erstein attirerait de nombreux visiteurs et leur rappellerait ce prestigieux passé.
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