La famille comtale des Eberhardiens, plus tard appelée Eguisheim Dabo et ses différentes branches semblent devoir être reliées à la famille franque des Etichonides même si il y a des difficultés pour établir avec certitude un arbre généalogique complet. Le personnage qui permet de relier cette famille au duc d'Alsace Etichon est, selon un consensus des historiens, le comte franc Hughes de Tours, personnage important du règne de Charlemagne, de Louis le Pieux et de Lothaire 1er, célèbre en Alsace par la légende de la Croix et du Chameau. Hughes de Tours est aussi le père de Ermengarde, l'épouse de Lothaire 1er.
Le dernier comte est Albert II de Dabo Moha (1150-1212), fils du comte Hughes II de Metz, aussi appelé Hughes X de Dabo, qui va en fait réunir sous son autorité les comtés d'Eguisheim, de Dabo, de Metz et de Moha dans le Brabant. Le comté de Moha est entré dans les biens de la famille suite au mariage de Hughes, frère de Bruno d'Eguisheim, avec la fille de Louis comte de Moha. Gertrude (?1205/1206 - 1225), la fille d'Albert II, va être la dernière héritière des vastes possessions de cette dynastie après, selon une version controversée par les historiens, la mort de ses deux frères qui se seraient entre-tués à la suite d'un tournoi. Elle va devenir le jouet des visées territoriales des familles régnantes en Alsace et en Haute et Basse Lotharingie. Sa mort en 1225 à l'âge de 19 ans, après trois mariages sans enfants, va entraîner dans ces contrées un profond bouleversement politique et territorial.
Nous avons très peu de témoignages sur la vie de Gertrude promise très jeune au fils du duc Frédéric II de Lorraine, Thiébaud 1er , qu'elle va épouser en 1213, l'année où celui-ci succède à son père. Le règne de Thiébaud fut court et marqué par un conflit avec les Hohenstaufen (bataille de Rosheim ou guerre des caves en 1218) car il décède en 1220 et est remplacé par son frère cadet Mathieu II au duché de Haute-Lotharingie.
Gertrude épouse ensuite, influencée par son beau-frère qui cherche un rapprochement avec Blanche de Navarre comtesse de Champagne, le fils de celle-ci Thiébaud IV dit le Chansonnier en 1220. Ce mariage n'est pas du goût de l'empereur Frédéric II qui redoute l'influence du roi de France sur l'héritage futur et en fait part au Pape Honoré II. Le mariage va être dissout en 1222 sans que l'on sache si le motif invoqué en ait été la consanguinité ou l'infertilité.
Elle épousera en troisième noce (1223) le comte Simon de Linange et s'éteindra en 1225 à l'âge d'environ 19 ans.
Les acteurs de la bataille autour de l'héritage des Eguisheim-Dabo-Moha sont les suivants :
pour la Basse-Lotharingie : l'évêque de Liège Hughes de Pierrepont et le duc Henri 1er de Brabant,
pour la Haute-Lotharingie et l'Alsace: les évêques de Metz Conrad de Scharfenberg et Jean 1er d'Apremont, ceux de Strasbourg Henri de Veringen et Berthold de Teck, le duc Mathieu de Lorraine, Simon de Linange, les familles alliées des Eguisheim-Dabo comme les Ferrette, les margraves de Bade ou même les Hohenstaufen.
Sans entrer dans le détail des arbitrages faisant parfois intervenir le versement de sommes d'argent et des querelles sanglantes liées à cet héritage (bataille de Rosheim 1218, bataille de Steps 1213, bataille de Blodelsheim 1228) on arrive à la conclusion que l'essentiel de la succession va profiter aux trois évêchés : l'évêché de Liège pour le comté de Moha et Waleffe, l'évêché de Metz pour le comté de Metz et l'évêché de Strasbourg pour les possessions en Alsace. Les évêques concernés n'ont d'ailleurs pas empiété sur leurs prétentions respectives. Les Hohenstaufen conserveront le bailliage de Colmar, le duc Mathieu ne jouera qu'un rôle mineur et obtiendra en fief Bergheim, les Ferrette seront dotés du fief épiscopal des seigneuries du Hohnack et du Wineck, le comte de Linange gardera les possessions à Dabo et en Alsace et les margraves de Bade se contenteront du versement d'une importante compensation financière. Enfin Il ne faut pas sous-estimer les influences qu'ont pu exercer dans cette affaire le pape Honoré ou l'empereur Frédéric II, ce dernier directement ou par l'intermédiaire de son fils Henri VII exerçant à cette époque la fonction de roi de Germanie.
Dans un environnement aussi turbulent on peut comprendre que la comtesse Gertrude ait été attirée par la poésie comme son deuxième mari ; un de ses manuscrits destiné à être mis en musique , « Un petit devant le jour », est conservé à la bibliothèque de Berne. Elle a été inhumée à côté de son premier mari dans le modeste village de Sturzelbronn, dans le pays de Bitche, le long de la frontière allemande, où se trouvait jadis une abbaye cistercienne qui a accueilli les sépultures des premiers ducs de Lorraine.
Bruno Meistermann
Principale source : Studien zur Geschichte der Dagsbug Egisheim : Franck Legl Sarrbrücken 1998
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Dominique Lihrmann (mercredi, 20 mars 2024 21:25)
On peut être frappé par la succession des mariages d’une rapidité étonnante ! Et l’âge du décès ! C’était pas le bon vieux temps !
Bruno Meistermann (jeudi, 21 mars 2024 06:37)
Les mariages étaient décidés pour des raisons patrimoniales bien avant la puberté des prétendants. En fait ils permettaient d'accroître les possessions et certaines familles régnantes en ont fait leur spécialité, comme les Habsbourg par exemple. Cette pratique a aussi conduit au développement de la consanguinité !