Rodolphe, l'abbatiale d'Ottmarsheim et le château de Butenheim
L'abbatiale d'Ottmarsheim, qui fait office aujourd'hui d'église paroissiale dédiée aux apôtres Pierre et Paul, est un joyau de l'art roman en Alsace. L'écrivain Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques sous Napoléon III, dans une de ses lettres dit ceci : - cette abbatiale est peut-être la seule église carolingienne bien authentique en France -. Divers textes nous renseignent sur son histoire comme la Vita Leonis de Humbert de Moyenmoutier (?1000 – 1061) ou l'acte de 1064 de l'empereur Henri IV qui confirme les donations faites au monastère de bénédictines d'Ottmarsheim. Cet acte a été découvert dans les archives d'Innsbruck par un historien autrichien Oswald Redlich (1858 - 1944). Il faut se rappeler qu'à Innsbruck se trouvait l'administration qui gérait les possessions impériales et celles des Habsbourg dans ce que l'on appelait alors l'Autriche antérieure (Alsace, Brisgau, Souabe, Argovie et Vorarlberg).
Nous apprenons que le monastère des bénédictines a été fondé par Rodolphe de Altenbourg et sa femme Cunégonde et que le le Pape Léon IX qui a été intronisé en février 1049, l'a consacrée en décembre de la même année lors de son premier passage en Alsace. Notons que le pape fit au moins deux voyages en Alsace au cours desquels il a aussi rendu visite aux monastères d'Altorf, de Woffenheim et de Hohenbourg. Il a en outre canonisé Odile, première abbesse de Hohenbourg et l'impératrice Richarde fondatrice du monastère d'Andlau. Nous pouvons donc placer la fondation du monastère d'Ottmarsheim au début du onzième siècle. La dynastie des Altenbourg descend de Gontran le Riche et est considérée par les généalogistes et les historiens comme étant à l'origine de la maison des Habsbourg. Certains historiens font descendre les Altenbourg du duc Etichon , père de Sainte Odile, mais, dresser un arbre généalogique complet remontant au 7ème siècle semble toutefois une entreprise un peu trop hasardeuse.
Les historiens ont aussi souligné la similitude qui existe entre l'architecture de l'abbatiale d'Ottmarsheim et celle de la Chapelle Palatine d'Aix-la-Chapelle : même nef octoganale soutenue par un dôme, même déambulatoire surmonté de galeries superposées avec ouvertures à colonnades. La chapelle Palatine jouxte la cathédrale où se trouve la châsse qui sert de sépulture à Charlemagne. Le père René Bornert, à l'origine de l'ouvrage collectif – Les Monastères d'Alsace – y voit la main d'un frère de Rodolphe, Werner qui compte tenu de sa fonction d'évêque de Strasbourg assistait aux diètes et se rendait vraisemblablement souvent à Aix-la-Chapelle. Outre le fait que la chapelle Palatine est plus grande il faut aussi noter que sa décoration intérieure est plus riche et d'inspiration nettement byzantine.
Le même Rodolphe, serait à l'origine d'un château de plaine situé près du village aujourd'hui disparu de Butenheim. L'endroit se trouve au sud, à 6 km d'Ottmarsheim, entre Hombourg et Petit Landau. Il est repéré sur les cartes IGN et en se rendant sur les lieux on découvre une butte de terre couverte par un bosquet d'arbres et envahie par les ronces et s'y l'on s'y aventure on peut encore trouver quelques vestiges d'anciens murs. Une plaque, située à l'entrée du site, mentionne le château de Butenheim et les fouilles entreprises au 20ème siècle. On ne connaît pas les causes de la disparition du village, celle-ci a pu être provoquée par les inondations du Rhin ou par les invasions.
Rodolphe est mort en 1053, sans doute à la bataille de Civitate contre les Normands où les troupes du pape Léon IX, renforcées par un contingent envoyé par l'empereur Henri III, furent défaits et où le pape fut retenu prisonnier. Rodolphe ne laissa pas d'héritier mais avait deux frères : Werner (? – 1028) et Radbot (?970 - 1045).
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Radbot, Ita de Lorraine, le château de Habsbourg et le monastère de Muri
La question de savoir si Werner était bien un frère ou plutôt un proche reste débattue par les historiens. Toujours est-il qu'il faisait partie du cercle de l'empereur Henri II et qu'il a été nommé évêque de Strasbourg (1001 – 1028) par Otton III. Il est mort lors d'une mission, confiée par Conrad II, à Constantinople. Il a joué un rôle important pour la famille, notamment en favorisant voir en finançant les projets de Radbot et sans doute aussi de Rodolphe.
Lors du règlement de la succession Radbot avait hérité des possessions en Argovie. Il épousa Ita de Lorraine, une fille du duc Frédéric 1er de Lorraine et, avec l'appui de Werner, il fit construire un château situé près d'Aarau et d'un village nommé Habitchbourg, qui deviendra plus tard Habsbourg. Radbot et Ita sont considérés aussi comme les fondateurs de l'abbaye bénédictine de Muri située à une trentaine de kilomètres au sud-est de Habsbourg et dont les premiers moines venaient d'Einsiedlen (1027). Le monastère de Muri fut supprimé en 1841 et les conventuels furent déplacés à Sarnen et à Gries près de Bolzano. Muri fut au départ un couvent double jusqu'au 12ème siècle, époque où les moniales furent transférées à Hermetschwil. Les bâtiments actuels datent de différentes époques et notamment du 17ème siècle et abritent aujourd'hui un musée, une école et une maison de soins pour personnes âgées. A proximité de l'abbatiale, la chapelle de Lorette abrite dans deux écrins les cœurs de Zita et de Charles le dernier empereur mort en exil à Madère. Sous la chapelle, dans une crypte, reposent plusieurs membres de la famille des Habsbourg. Muri est aussi connu par une chronique, écrite en latin en 1140 par un moine inconnu, appelée Acta Murensia qui rend compte de la fondation de l'abbaye, du terrier et d'éléments généalogiques sur les premiers Habsbourg
Ce sont des descendants de Radbot et Ita qui sont donc à l'origine de la maison des Habsbourg qui va jouer un rôle prépondérant en Europe jusqu'au début du vingtième siècle, avec pour apogée le règne de Charles Quint (1519 - 1555). A une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Muri se trouve Sempach où le 9 juillet 1386 s'est déroulée la fameuse bataille qui opposa l'armée du duc Léopold III de Habsbourg aux confédérés et où la noblesse alsacienne a perdu un grand nombre de ses membres comme les Andlau, Ochsenstein, Morimont, Geroldseck, Mullenheim, Waldner, Reinach etc ... Une chapelle portant le nom de Schlachtkapelle commémore encore aujourd’hui cet événement fondateur de la confédération helvétique.
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L'accession au trône de Rodolphe IV de Habsbourg
C'est en 1273, soit deux siècles plus tard, qu'un descendant de la maison des Habsbourg, Rodolphe IV, va accéder au trône de roi des romains (rex romanorum) titre porté par le candidat élu au trône de Germanie et porter le nom de Rodolphe 1er. Contrairement au roi de France, le roi de Germanie était élu par un collège de grands électeurs, intronisé à Aix-la-Chapelle avant d'être couronné empereur par le Pape à Rome. Ce collège était composé au départ du margrave de Brandebourg, du duc de Saxe, du comte palatin du Rhin, du roi de Bohême et des trois archevêques de Mayence, de Cologne et de Trèves. C'est l'archevêque Werner de Mayence qui proposa la candidature de Rodolphe et à la surprise générale celui-ci fut élu. Il faut souligner que Rodolphe avait 6 filles et qu'il a offert trois d'entre elles en mariage aux électeurs célibataires : Mathilde à l'électeur palatin Louis II de Bavière, Agnès au duc Albert II de Saxe et Hedwige au margrave Otto de Brandebourg, ce qui pouvait être de nature à influencer grandement le vote. Lorsque Rodolphe apprend la nouvelle il lève le siège de Bâle qu'il avait entrepris lors d'un différend avec l'évêque.
Cette élection fait suite à une période assez troublée de l'histoire du Saint Empire Romain Germanique, après la mort de Frédéric II de Hohenstaufen, où les électeurs n'arrivaient pas à se mettre d'accord et où rois et anti-rois s'affrontaient dans des querelles parfois meurtrières. Pour affermir son trône, Rodolphe s'est vu contraint d'affronter Ottocar II de Bohême, candidat malheureux de cette élection. Ottocar a été vaincu et tué à la bataille de Marchfeld en 1278. Conrad Werner de Hattstatt, futur landvogt de Haute-Alsace et résident du Pflixbourg, participa à cette bataille à la tête de ses cavaliers. Notons au passage que le fils cadet de Rodolphe 1er, Rodolphe II, épousa Agnès de Bohême, la fille d'Ottocar, et que le fils d'Ottocar, Wenceslas II, épousa Judith, une fille de Rodolphe. La devise bien connue - Que les autres fassent la guerre, toi, heureuse Autriche, marie-toi, car les royaumes que Mars donne aux autres, Vénus te les donne – semble avoir été, à cette époque, déjà d'actualité dans la future maison d'Autriche.
Les historiens décrivent Rodolphe 1er comme un guerrier valeureux, rusé, ambitieux mais aussi doté de qualités humaines et peu attiré par le faste alors déployé dans les cours des familles régnantes. Il ne s'est d'ailleurs jamais présenté à Rome pour obtenir du Pape les insignes du titre impérial. Il épousa en 1245 Gertrude de Hohenberg qui lui apporta en dot les possessions du Val de Villé (Albrechtsthal) et l'Ortenbourg, la sentinelle qui protège l'accès aux deux vallées. Avant d'être élu, il exerça les fonctions de landgrave d'Alsace et d'avoué pour l'abbaye de Murbach et l'Obermundat. Il contribua aussi à lutter contre l'insécurité et les chevaliers brigands. En 1262 il participa, aux côtés des milices de Strasbourg, à la bataille de Hausbergen qui marqua l'émancipation de la ville du pouvoir épiscopal de Walter de Geroldseck. Gertrude de Hohenberg régnera sous le nom de Anne de Habsbourg et s'éteindra en 1281 après avoir mis au monde 10
enfants. Son corps sera transféré à Bâle et son monument funéraire se trouve dans la cathédrale avec celui de Charles, un de ses garçons, mort en bas âge. Rodolphe prendra encore en 1284 pour épouse, en seconde noce, Isabelle de Bourgogne, une fille du duc de Bourgogne avant de décéder en 1291. Son corps repose dans la crypte de la cathédrale de Spire. Son règne marquera une rupture avec plus de 20 ans de troubles, période de l'histoire du Saint Empire appelée aussi le Grand Interrègne.
Une succession mouvementée
Rodolphe aurait souhaité voir son fils aîné Albert monter sur le trône, mais les électeurs, sans doute pour éviter de donner à la succession un caractère héréditaire qui affaiblirait leur propre pouvoir, ne l'entendirent pas ainsi. Précisons aussi que son fils Hartmann était mort par noyade, accidentellement, en 1281 aux environ de Rhinau et que son autre fils, Rodolphe II, duc d'Autriche et de Styrie, est décédé en 1290. Les électeurs accordèrent leur préférence à Adolphe de Nassau (1292) mais son comportement et son incompétence conduiront à sa destitution par une diète, convoquée pour l'occasion à Mayence en 1298, et à son remplacement par Albert. Les partisans de l'un et de l'autre vont s'affronter dans un combat farouche à Göllheim, entre Worms et Spire, au cours duquel Adolphe succomba (2 juillet 1298). Ils se retrouveront, mais un peu plus tard, inhumés côte à côte dans la cathédrale de Spire.
En montant sur le trône il prit le nom d'Albert 1er, mais s'il était aussi valeureux que son père l'arme au poing, il n'avait pas hérité de ses qualités humaines. Il fit preuve d'intransigeance et de duplicité dans ses alliances comme celle qu'il a noué avec Philippe le Bel contre le Pape Boniface et ses aventures guerrières pour entrer en possession de la Bohême, de la Hongrie, de la Misnie ou de la Thuringe se soldèrent parfois par des échecs. Il se heurta aussi à la résistance farouche des cantons fondateurs de la confédération suisse (Schwyz Uri Nidwald) qui vont nouer un pacte d'alliance en 1291, lequel va conduire plus tard à la fameuse bataille de Morgarten. Enfin il va aussi sous-estimer la rancœur que nourrissait son neveu Jean de Souabe à son égard, fils de Rodolphe II et de Agnès de Bohême, la fille d'Ottocar. Jean, qui avait atteint la majorité, s'estimait floué de ses possessions, et prépara une terrible conspiration avec Walter d'Eschenbach, Rodolphe de Wart, Rodolphe de Balm et Conrad de Tegenfeld. Alors que le roi se rendait à Rheinfelden à la rencontre de la reine Elisabeth Goritz-Tyrol, les conspirateurs l'attendirent sur les rives de la Reuss à Windisch et l'assassinèrent (1er mai 1308).
La reine Élisabeth et sa fille Agnès menèrent une campagne implacable pour retrouver les conjurés et confisquer les biens de leurs familles. Seul Rodolphe de Wart a pu être arrêté et soumis au supplice de la roue. Une chapelle à Winkel, fondée au 14ème siècle par les moines de Lucelle avec un don du fils de Rodolphe de Wart, bailli de Zurich, rappelle encore aujourd'hui cet événement tragique. La tradition orale nous rapporte que la femme du supplicié aurait accompagné celui-ci pendant toute la durée de son agonie. Pour commémorer l'assassinat du roi Albert 1er sa femme a fondé à Windisch, sur le lieu même du crime, un couvent de franciscains et de clarisses du nom de Königsfelden. L'église, qui fait à l'heure actuelle l'objet d'une réhabilitation, est renommée pour ses peintures sur vitrail et a servi de lieu de sépulture à Léopold et à d'autres chevaliers morts à la bataille de Sempach.
Albert II le Sage et Jeanne de Ferrette
Il faudra attendre plus d'un siècle avant qu'un Habsbourg ne remonte à nouveau sur le trône, les électeurs préférant se tourner vers la maison du Luxembourg ou celle des Wittelsbach. Albert II dit le Sage, un des fils d'Albert 1er, qui était destiné à une carrière ecclésiastique, va épouser en 1324 Jeanne de Ferrette, une des filles du dernier comte de Ferrette Ulrich III. Ce mariage va permettre aux Habsbourg d'étendre leurs possessions en Alsace.
Jeanne avait une sœur Ursule qui a été dédommagée moyennant le versement d'une somme de 8000 marcs d'argent. Les statues d'Albert le sage et de Jeanne de Ferrette sont visibles sur la cathédrale Saint-Etienne de Vienne. De toutes les belles-filles d'Albert 1er, Jeanne est la seule dont la descendance va conduire jusqu'à Maximilien 1er. Après, c'est une autre Jeanne, la fille de Ferdinand le Catholique, qui va épouser Philippe le fils de Maximilien 1er et qui va apporter les terres d'Espagne à la maison d'Autriche et poursuivre la lignée masculine de la maison des Habsbourg jusqu'à l'avènement des Habsbourg-Lorraine avec le mariage de Marie-Thérèse avec François de Lorraine.
Albert le Sage fut victime d'un empoisonnement le 25 octobre 1330 lors d'un dîner en compagnie de sa belle sœur, l'épouse de son frère Otto. Alors que la duchesse succomba, il garda des séquelles de paralysie aux mains et aux pieds qui lui valurent aussi le surnom de le Boiteux.
C'est un de leurs descendants au troisième degré, qui accédera au trône en 1438 sous le nom d'Albert II. Son règne ne durera que deux ans mais par la suite l'élection sera toujours à l'avantage de la maison des Habsbourg à l'exception de Charles VII (1742 -1745) issu de la Maison de Wittelsbach qui a refusé de reconnaître comme héritière Marie-Thérèse désignée par Charles VI. Albert le Sage et Jeanne de Ferrette reposent à la Chartreuse de Gaming fondée par eux en 1330 pour servir de nécropole familiale.
Bruno Meistermann
27/01/2024
Sources :
Les Habsbourg en Alsace des origines à 1273 : Philippe Nuss : Société d'Histoire du Sundgau 2002.
Geschichte de Habsburger in den ersten drei Jahrhunderten : Dr Aloyse Schulte : Innsbruck 1887.
Kayser Rudolf von Habsburg : Leonard Meister : 1783.
Histoire et Description de tous les Peuples : Allemagne : Ph. Le Bas : tome 2 : 1838.
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