Pendant que les croisés, conduits par Frédéric Barberousse jusqu'en Syrie pour libérer Jérusalem, atteignaient Saint Jean d'Acre et perdaient leur vieux chef, des bourgeois de Brême et de Lubeck fondaient à Acre un hôpital qui, 8 ans plus tard, sera transformé en un Ordre de chevalerie. Contrairement aux autres Ordres de chevalerie dont les noms avaient une connotation religieuse et qui avaient une vocation internationale, l'Ordre prit le nom de Ordre des Chevaliers Teutoniques et était réservé aux seuls citoyens allemands.
C'est le grand Maître Hermann de Salza qui, depuis les terres lointaines de Syrie, a défini les contours de la mission historique de conquête des territoires au service du peuple allemand. L'état monastique teutonique prussien est son œuvre. Les châteaux de Prusse occidentale et orientale avec à leur tête le fier château de Marienbourg témoignent encore aujourd'hui de cette volonté politique de colonisation.
Oriel du siège de l'Ordre à Rouffach Photo Ralph Hammann
L'Alsace allemande a aussi apporté sa contribution avec ses six Commanderies : Strasbourg, Mulhouse, Rouffach (Sundheim), Andlau, Guebwiller et Kayserberg, qui, avec les implantations en Souabe et en Bourgogne, formaient la Province Alsace-Bourgogne. De nombreux membres de la noblesse alsacienne et bourguignonne contribuèrent à accroître les possessions de l'Ordre par leurs donations et certains ont adhéré à l'Ordre et accédé à des positions importantes dans la hiérarchie comme le chevalier de Haute-Alsace Conrad Werner de Hattstatt qui devint Commandeur, et prit la tête de la Province Alsace-Bourgogne en 1271.
La Commanderie de Rouffach (Sundheim) dont la création d'après les chartes remonte à 1215 comptait parmi les premières et les plus importantes fondations du pays. Malheureusement, outre les chartes, les écrits concernant Sundheim et le château de l'Ordre ont disparu. A la place du château on trouve aujourd'hui un moulin sous l'appellation populaire de « Sundheimer Mühle ». A l'emplacement du village aujourd'hui disparu de Sundheim se trouve une école et un institut de formation des cadres nazis : - Nationalpolitische Erziehungsanstalt und eine Schule für Volksdeutsche Rufach -.
La première charte traitant des possessions de la Commanderie date de 1231 et a trait à un conflit au sujet de la dîme entre le Commandeur et l'abbesse d'Eschau. En 1235 Ida, la femme de Henri de Butenheim est à l'origine d'une importante donation. D'après la charte, Godefroye le Grand Maître de la Province Alsace-Bourgogne-Brisgau était présent à Rouffach pour la signature. Thiébault Walter, le célèbre historien local, pense que la Commanderie avait d'abord son siège à Rouffach avant de s'établir à Sundheim. En 1331 il y eut encore d'importantes donations de Berchte de Isenheim et d'Adélaïde d'Illzach. En 1275 les chevaliers agrandirent la cour, édifièrent des murs et utilisèrent à cette fin les sédiments de l'Ohmbach. Ces agissements entraînèrent un différent avec les autorités de la ville. En 1278 ces dernières confirmèrent les droits de la Commanderie à utiliser le sable de l'Ohmbach et à disposer librement du moulin.
Pendant les guerres qui opposèrent en 1298 l'évêque Conrad de Strasbourg seigneur du Mundat de Rouffach au Bailli de Haute-Alsace Thiébault de Ferrette, ce dernier fit une incursion dans le pays avec son armée composée de paysans du Sundgau et dévasta Sundheim et les villages de la vallée de Soultzmatt. Le village ne fut plus jamais reconstruit mais le château de l'Ordre fut épargné. Pendant un siècle nous n'avons plus de nouvelles de la Commanderie. Ce n'est qu'en 1414 que nous disposons de documents établis par le frère chevalier Werner de Beuggen à la demande du Grand Maître Marquard de Königsegg à l'occasion de visites effectuées dans les Commanderies de la Province. Ils donnent un aperçu des possessions, de la richesse, et des effectifs des Commanderies alsaciennes.
En 1444, le chroniqueur Materne Berler évoque des dévastations dans la Commanderie de Sundheim. Bien qu'il ne nomme pas les incendiaires on peut raisonnablement penser qu'il s'agit des Armagnacs qui ont envahi l'Alsace à cette époque. Toutefois il est aussi possible que ce soit l’œuvre des habitants de Rouffach car, à cette époque, la commanderie provinciale a porté plainte auprès de la cour impériale du fait que les habitants de Rouffach ont détruit le château de Sundheim pour empêcher les Armagnacs de s'y installer et de menacer la ville. En 1333, Adélaïde de Kegin, la sœur du chevalier de Vendenheim, a légué à la Commanderie, entre autres biens, une maison et une cour à Rouffach. Ce leg permettait à l'Ordre d'avoir un lieu de repli derrière les remparts de la ville pendant ces temps de guerre.
Le château de Sundheim, qui a été reconstruit tant bien que mal entre temps, fut complètement détruit en 1525 pendant la Guerre des Paysans. Sebastien Munster dans sa Cosmographie de 1548 a encore représenté la Commanderie dans son ancien emplacement (Teutsch Haus) mais le château ne fut jamais reconstruit. Munster qui vers 1512 était lecteur à l'école latine de Rouffach a sans doute réalisé sa représentation bien avant l'édition de la Cosmographie. L'Ordre s'est définitivement installé en ville, à l'intérieur des remparts. Même si l'Ordre a subi de grandes pertes lors la défaite de Tannenberg en 1410 de nombreux chevaliers se sont illustrés sur le champ de bataille par la suite comme le Commandeur Jean Caspar de Jestetten, l'ancêtre de la famille Jestetten de Soultzmatt qui a servi sous Charles Quint lors du siège de Metz. Ils estimaient que c'était leur devoir de poursuivre avec courage et faste l’œuvre de colonisation de leurs ancêtres. Mais la Prusse orientale était devenue un état laïque et l'Ordre perdra sa mission combative. Certains Commandeurs considéraient aussi que les revenus de l'Ordre leurs appartenaient, c'est pourquoi certaines Commanderies ne furent pas épargnées pendant la Guerre de Paysans.
En ce qui concerne la Commanderie de Rouffach nous apprenons quelle avait ouvert ses greniers pour venir en aide à la population pendant les périodes de famine, geste qui fut d'ailleurs salué par le prévôt et les représentants de la ville et les relations entre les chevaliers de l'Ordre et les bourgeois étaient plutôt bonnes. Un chroniqueur nous apprend qu'en 1579 eut lieu à Rouffach un concours de tir auquel étaient invités, outre la noblesse des environs, des représentants des villes de Haut-Alsace. Le commandeur Sigismond de Reinach fournit à cette occasion des lots de valeur. Le 15 juin 1591 la ville eut encore l'honneur de recevoir le Grand Maître de Alschhausen à l'occasion de la construction de nouveaux bâtiments. C'était une grande fête car le pain vint à manquer et il fallut faire appel à Pfaffenheim et à Westhalten pour subvenir aux besoins. De ce nouveau siège de la Commanderie il reste aujourd'hui dans la rue des Franciscains (Récollets) une maison avec un haut pignon à colombage avec une annexe dans la « Weidengasse » (rue Claude Ignace Callinet) qui a été dotée en 1613 d'un bel oriel arborant les armoiries de l'Ordre.
Comme l'Ordre a renoncé à reconstruire la chapelle qui existait à Sundheim, les dépouilles des Commandeurs ont été inhumées dans la nef de l'église des Récollets. Les pierres tombales décorées des armoiries sont utiles pour reconstituer l'histoire de la Commanderie. Ainsi trouvons-nous les pierres tombales des Commandeurs Baltazar d'Andlau mort en 1576, de Jean-Jacques de Weyandten mort en 1587, de Guillaume de Weittingen mort en 1609 et de Guillaume Thum de Neuenbourg mort en 1662. Sous la domination française l'Ordre, qui avait ses racines dans l'empire allemand, n'était plus en grâce auprès de autorités. Après la Paix de Ryswick, Louis XIV fut contraint à rendre les possessions confisquées à l'Ordre des Chevaliers Teutoniques et transférées à celui des Hospitaliers mais ont leur fit comprendre qu'ils étaient indésirables sur le territoire français. Les biens immobiliers, suite à une mauvaise gestion, ne furent plus correctement entretenus. Le 19 décembre 1698 la ville a encore accueilli en grande pompe le nouveau Commandeur Frédéric Stürzel de Buchheim qui redressa la situation mais les destructions consécutives à la Révolution Française mirent un terme à la destinée de l'Ordre dans nos régions.
B. Meistermann 08/05/24
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JPK (jeudi, 09 mai 2024 10:39)
Merci Bruno sous ton influence nous allons devenir des Tamalous cultivés