Extrait de Œuvres historiques inédites de Philippe André Grandidier tome 2 1865
Brunon, car tel fut le nom que Léon IX porta jusqu’à son pontificat, prit naissance en Alsace. Sa maison en était originaire, et descendait par Athic , ou Adalric, des anciens ducs de cette province. Son père, Hugues IV, est nommé comte du Nordgau, ou de la Basse-Alsace , dans des chartes de 1035 et 1040. Il était cousin-germain de l’empereur Conrad-le-Salique, dont il soutint vivement les intérêts contre la ligue que Ernest, duc de Souabe et d’Alsace, forma en 1027 contre ce prince.
Heilwige, mère de Brunon, était fille unique héritière de Louis, comte de Dagsbourg, ou Dabo qui avait fondé, en 966, le prieuré de S. Quirin. Hugues et Heilwige faisaient leur séjour ordinaire dans le château d’Eguisheim, au-dessus de Colmar dont il ne reste plus que trois tours placées sur une colline, ou en celui de Dabo, situé dans les Vosges, dans la Basse-Alsace, aux frontières de la Lorraine , sur la pointe d’un très-haut rocher, fameux par les antiquités romaines, qu’on a découvertes aux environs. Ces deux époux n’étaient pas moins distingués par leurs talents et
leur piété, que par leur haute naissance. Ils possédaient l’un et l’autre, la langue romane, aussi parfaitement que la langue allemande : ce qui était extrêmement rare dans le siècle où ils vivaient. Ils se signalèrent aussi par leurs libéralités envers les monastères de l’Alsace, et ils employèrent une grande partie de leurs biens à les doter. Les abbayes de Lure et d’Altorf les comptent dans le nombre de leurs bienfaiteurs, celles de Hesse et de Woffenheim les regardent comme leurs fondateurs.
L'abbaye de Hesse est située dans le diocèse de Metz entre Sarrebourg et Dabo , près de Haute-Seille et de Lorquin. Les fondateurs l’établirent dans les terres qui provenaient de la succession de Louis, comte de Dabo, père de Heilwige, et y nommèrent pour première abbesse
Serberge, leur petite-fille. Brunon, leur fils, devenu pape, en dédia l'église le 25 novembre 1049, en l’honneur de la Sainte-Vierge, du martyr S. Laurent et de l’évêque S. Martin.
Il en confirma les biens et en augmenta les privilèges par sa bulle donnée vers l’an 1050. Elle est adressée à l’abbesse Serberge, sa nièce. Il compte entre les possessions de l’abbaye de Hesse les églises de Waldscheidt et d’Abreschviller en Alsace, des biens situés à Dorlishieim et à Tränheim, l’église inférieure de Rosheim, le droit de patronage et les trois-quarts de la dîme au même endroit. Henri, évêque de Strasbourg, unit en 1254 les revenus de cette dernière église au monastère de Hesse, ce qui fût confirmé, le 13 juillet 1255, par le pape Alexandre IV. L’abbaye de Hesse, après l’extinction des comtes de Dabo en la personne de Gertrude, fille et héritière d’Albert, mort en 1225, échut avec une partie de sa succession à l’église de Strasbourg. L’évêque Berthold l’accorda, en 1228, en fief à Simon, comte de Linange, et a ses héritiers mâles. Le prince de Linange possède encore aujourd’hui à Hesse l’advocatie et la haute justice, comme fief relevant de l’évêché de Strasbourg. L’observance de S. Benoît se maintint dans cette abbaye jusqu’au quinzième siècle . Elle tomba alors dans le relâchement et la disette : l’abbesse et les six religieuses, qui y restèrent, vendirent tout ce qu’elles avaient, et elles se retirèrent dans le diocèse de Strasbourg. Elles remirent en même temps leur monastère, par acte du 8 mai 1442, entre les mains des comtes de Linange, en les suppliant, comme héritiers des fondateurs, de reprendre cette abbaye, et d’y pourvoir comme ils jugeraient à propos. Les comtes de Linange l’unirent au chapitre de S. Étienne de Sarrebourg, qui n’en est éloigné que de deux petites lieues. Conrad, évêque de Metz, confirma cette union par ses lettres du 13 octobre 1447 , ainsi que le cardinal Nicolas , légat du Saint-Siège en Allemagne , par celles du 5 mai 1452. Les chanoines de Sarrebourg en prirent possession en 1457. Mais cette union leur devenant à charge, ils rendirent le monastère, en 1465, à George de Bade, évêque de Metz. Celui-ci accorda Hesse, le 6 mars 1482, aux chanoines réguliers de S. Augustin de la congrégation de Windesheim , qui en prirent possession l’année suivante. Henri Susse, de Paderborn, qui fut tiré du monastère de Marbach, en fut le premier prieur.
Le pape Alexandre VI confirma cette nouvelle union en 1494. La modicité des revenus ne suffisant plus pour l’entretien des chanoines réguliers, ils quittèrent Hesse après le milieu du seizième siècle. Il fut alors uni et incorporé pour toujours à l’abbaye bernardine de Haute-Seille en Lorraine , qui en possède encore aujourd’hui les revenus. La bulle d'union du pape Grégoire XIII est datée du 26 juin 1576. Il ne reste plus du monastère de Hesse , que l’église paroissiale desservie par un religieux de l’abbaye : on y voit encore le tombeau et la figure en relief de Serberge, la première abbesse. C’est en conséquence de cette union , que l’abbé de Haute-Seille jouit dans le diocèse de Strasbourg, du patronage de l’église paroissiale des SS. Pierre et Paul de Rosheim , et de la moitié des dîmes dans tout le ban de cette ville et dans celui du village de Rosheimwiller.
Woffenheim, situé en Alsace, dans le diocèse de Bâle, à une lieue et demie au-dessus de Colmar et à autant du château d'Egisheim, fut fondé, en 1006 par le comte Hugues et Heilwige, son épouse. On lui donna aussi le nom de monastère de Sainte-Croix, parce qu’il fut consacré à la gloire de la très-sainte croix, et qu’il fut enrichi d’un morceau de cette précieuse relique. La première abbesse de Woffenheim fut Odile, fille des fondateurs. Regelwide, qui lui succéda, vivait en 1046. Kuntza devint abbesse en 1049. Le pape Grégoire VII, dans la lettre adressée en 1074 aux évêques de Strasbourg et de Bâle, attribue l’établissement de Woffenheim à S. Léon IX. Celui-ci a pu partager avec son père et sa mère le titre de fondateur, en augmentant les fonds et les bâtiments : mais la gloire en est due à Hugues et à Heilwige.
L’archidiacre Wibert, dans la vie de S. Léon IX, et ce pape lui-même, dans sa bulle du 18 novembre 1049, le disent en termes exprès. Léon IX soumit le monastère de Woffenheim au Saint - Siège , en consacra l’église -, et donna à Kuntza la bénédiction abbatiale. I1 voulut aussi que l’abbesse envoyât à Rome chaque année une rose d’or du poids de deux onces, pour être bénie par le pape le quatrième dimanche du carême. Telle est l’origine de la rose d’or, que le pape bénit tous les ans au même jour, et qu’il envoya à quelque prince ou princesse, pour marque d’estime et de bienveillance.
Woffenheim ayant été ruiné par les guerres , les habitants s’établirent insensiblement autour de l’abbaye : ce qui forma au treizième siècle une petite ville connue sous le nom de Sainte-Croix. Ursule fut la dernière abbesse de Woffenheim. Après sa mort, l’abbaye fut sécularisée par bulle du pape Pie II du 12 janvier 1461, et changée en chapitre séculier, composé d’un doyen et de douze chanoines. Cette collégiale ne subsista pas longtemps. Dès l’an 1502, elle était réduite au seul doyen, qui en percevait les revenus. Elle fut supprimée en 1524, et changée en une cure-rectorat, à la collation du magistrat de Colmar. Cette ville qui acheta, en 1536, la seigneurie de Sainte-Croix, pour 25 417 florins, possède aujourd’hui la plus grande partie des biens de l’ancien monastère de Woffenheim. il n’en reste d’autres vestiges qu’une tour et une petite chapelle, qui se trouvent aux portes de la ville de Sainte - Croix, et qu’on nomme l’ermitage de Woffenheim.
Les fondateurs de cette abbaye, Hugues et Heilwige, eurent, outre Brunon, deux fils, qui naquirent avant lui, et cinq filles Les fils furent les deux comtes Gérard et Hugues, dont nous parlerons ci-après. Les filles furent Mathilde, Bitzela, Odile, Gebba et une cinquième dont on ignore le nom. Cette dernière fut mariée à Ernest II, duc d’Alsace et de Souabe, qui était frère de l’empereur Henri II par Gisèle, sa mère. Mathilde épousa Herman, comte de Verdun, et fils de Godefroi, comte des Ardennes. Ce fut en conséquence de ce mariage que Herman porta le nom de comte de Dabo Bitzela fut la femme de Hartwig, comte de Calb, et mère d’Adelbert, qui rétablit en 1059 le monastère d’Hirsau. Odile et Gebba embrassèrent l’état religieux , la première fut abbesse de Woffenheim.
Brunon naquit le 21 juin de l’année 1002. L’endroit de sa naissance fut, selon les uns, le château d'Egisheim, et selon les autres, le lieu de Woffenheim. Mais comme Wibert, auteur contemporain, assure qu’il vit le jour aux extrémités de l’Alsace, et que cette expression ne peut convenir à ces deux endroits, nous croyons plutôt qu’il naquit au château de Dabo.
C’est la tradition constante du pays : on voit encore près de ce château, dans la paroisse de Waldscheidt, une colline appelée de son nom Leonsberg, et une petite chapelle sous son invocation, où l’on prétend que Brunon fut baptisé. Il vint au monde le corps tout couvert et comme stigmatisé de petites croix rouges ; ce qui fut attribué aux méditations profondes, que sa pieuse mère faisait souvent sur les souffrances et la passion de Jésus-Christ. Elles furent aussi regardées comme un présage de sa sainteté et de son élévation future.
Brunon fît paraître dès son enfance d’heureuses dispositions pour la vertu. Il en suça l’amour avec le lait de sa mère. Heilwige voulut elle-même le nourrir, contre la propre coutume et contre l’usage ordinaire des dames de son rang. Lorsqu’il eut atteint l’âge de cinq ans, ses parents le mirent entre les mains de Berthold, évêque de Toul, prélat pieux et instruit, qui avait un talent particulier pour l’éducation de la jeunesse , et qui l’éleva dans les principes de la religion et la connaissance des lettres. Brunon répondit parfaitement aux soins de ses maîtres. Il avait à peine fini ses premières études, que Berthold le nomma à un canonicat de sa cathédrale où il avait rétabli la vie commune. Le jeune chanoine y mena la vie la plus édifiante. Il partageait tout son temps entre la prière , la lecture des bons livres et l’étude des sciences ecclésiastiques. Après la mort de l’évêque Berthold, arrivée en 1018, il continua de demeurer à Toul auprès de Herman, son successeur.
Ordonné diacre, il passa à la cour de l'empereur Conrad, où il s’acquit également l’estime et la confiance de ce prince et l’amour des courtisans. I1 y montra une grande capacité pour les affaires : mais il sut en même temps vaquer fidèlement aux exercices de la piété chrétienne. Ce fut dans le même temps qu’il fut nommé à la grande prévôté de l’église de S. Dié. L’évêque Herman étant mort le 1er avril 1026, le clergé de Toul jeta les yeux sur Brunon, pour lui succéder. Il fut sacré le 9 septembre de la même année par Poppon, archevêque de Trêves, son métropolitain. « Son mérite brigua seul pour lui, dit le père Longueval. Ce fut un des plus grands saints et des plus grands prélats de son siècle, qui, dans ces temps malheureux, devint une ressource pour l’église de France, et même pour l’église universelle ». I1 sut, dit Wibert, son principal historien, concilier admirablement la prudence du serpent avec l’innocence de la colombe. Également instruit dans les sciences ecclésiastiques et humaines, il était particulièrement habile dans la musique; il en connaissait si parfaitement la composition , qu’il surpassa en ce point plusieurs des anciens. On parle surtout avec éloge de l’office de S. Grégoire-le-Grand , qu’il composa et mit en musique, en faveur de l’abbaye alsacienne de Munster. Il fît aussi et nota des répons pour les monastères d’Altorf et de Hohenbourg en l’honneur de S. Cyriaque et de Ste Odile, auxquels il portait une dévotion particulière. Il vint lui-même à Hohenbourg, dont il consacra l’église en1045, sous l’invocation de la Sainte-Vierge.
Brunon perdit, l’année suivante 1046, Heilwige, sa mère, qui donna, dans ses derniers moments, les plus grands exemples d’humilité, de charité et de piété. Le comte Hugues IV, son époux, ne lui survécut pas longtemps : il n’était plus en vie en l’année 1049 . Il fut enterré avec Heilwige dans l’église de Sainte-Croix de Woffenheim.
La mort du pape Damase , arrivée le 8 août 1048, laissait le saint-siège vacant. L’église de Rome demandait un pontife qui réunit la naissance au mérite, la prudence au zèle, les bons exemples à la fermeté contre le vice, la connaissance des canons au désir de les faire exécuter. Toutes ces qualités étaient réunies dans Brunon. Il refusa d’abord de se rendre aux vœux unanimes de ceux qui, dans la diète de Worms, lui déférèrent la dignité pontificale. Il ne céda enfin qu’aux vives instances de l’empereur Henri, qui le croyait plus capable que tout autre de remédier aux maux de l’église, et sous la condition qu'on ne l’obligerait pas à rester pape, s’il n’avait pas le suffrage du clergé et du peuple de Rome.
Brunon entra dans cette ville le 2 de février 1049. Il y fut reçu avec de grandes acclamations, et on ratifia son élection. Il fut intronisé le 12 suivant, et il prit alors le nom de Léon, choisissant
S. Léon-le-Grand pour modèle, et se proposant d’honorer comme lui la chaire apostolique par sa piété, son zèle, son courage et sa douceur. « Après que l’église romaine, dit M. l’abbé Fleuri, eut gémi cent cinquante ans sous plusieurs indignes papes, qui profanèrent le saint-siège , Dieu, jetant un regard favorable sur cette église, lui donna Léon IX. »
Il était arrivé à la maturité de l’àge, et l’expérience, qu’il avait acquise pendant vingt-deux ans
d’épiscopat sur le siège de Toul, fut son guide dans le gouvernement de l’église universelle. Il s’appliqua sans relâche à rétablir la discipline et à réprimer les désordres, dont son cœur, sensible aux intérêts de la religion, était vivement affligé.
Ce fut l’objet des conciles qu’il assembla, des règlements qu’il fit dresser, et des voyages qu’il entreprit tant en France qu’en Allemagne, sans être arrêté par les dangers et les obstacles. Il vint en Allemagne en 1049. I1 était à Cologne lorsque Henri III y confirma, à sa sollicitation, le 5 de juillet, les droits et les privilèges de l'abbaye de Murbach. Passant ensuite à Toul, puis à Reims, où il célébra le 3 octobre un concile, il se rendit de là à Mayence, où il tint, dans le même mois, un autre concile, où assistèrent quarante-deux évêques en présence de l’empereur, et où le pape s’appliqua à remédier aux désordres qui régnaient parmi le clergé germanique. De Mayence, Léon passa près de trois mois en Alsace, sa patrie. Il y consacra, au mois de novembre, les églises abbatiales d’Andlau, de Woffenheim, de Hesse, d’Altorf, et de Hohenbourg. Il parcourut, au mois de décembre, la Haute-Alsace, où il dédia aussi un grand nombre d’églises, entre autres celles d’Ottmarsheim, de S. Marc, près de Rouffach et d’Œlenberg. Prenant ensuite le chemin d’Augsbourg et de la Bavière, pour retourner en Italie, il célébra les fêtes de Noël à Vérone.
Il retourna dans la Germanie sur la fin de l’an 1050, et il revint à Strasbourg au mois de janvier 1051. I1 accorda à la cathédrale de cette ville plusieurs indulgences et des privilèges particuliers. Il y consacra la nouvelle église collégiale de S. Pierre - le - Jeune et les chapelles de S. Michel et de Ste Walburge. Partout où il passa, il laissa des marques de piété envers les églises et de sa
bienveillance envers les abbayes. Il se trouva à Augsbourg le 2 février 1051, d’où il retourna à Rome, où il tint un concile après Pâques.
Également sensible au bien public et aux besoins du peuple, le pape Léon IX fit assembler les seigneurs d’Alsace et les engagea à recevoir la Trêve de Dieu , déjà établie dans d’autres provinces. Les haines héréditaires qui s’allumaient tant entre les comtes, qu’entre les petits tyrans de campagne, qu’on nommait seigneurs ou châtelains, avaient mis l’Alsace et la plupart des provinces voisines dans un état de guerre habituel. Le pillage, les enlèvements, les meurtres, les vengeances atroces étaient une suite inévitable de cette indépendance audacieuse et effrénée, qu’on regardait comme l’apanage et le caractère de la souveraineté dans ceux qui s’étaient fait le droit de ne reconnaître presque ni supérieur, ni lois. Les forteresses étaient le repaire du brigandage : tout noble qui avait pu bâtir un château sur un rocher, le fortifier par des tours et l’entourer de fossés, était impunément oppresseur et ravisseur. L’avantage de la taille, la force du corps, 1'armure de fer, ne servaient que trop souvent à écraser le faible. La vengeance étant au pouvoir des particuliers, et n’ayant d’autre objet que de repousser l’injure , ou de réprimer l’outrage et la violence par une violence plus nuisible et par des outrages plus sanglants, elle ne pouvait servir qu’à multiplier les désordres. La licence armée parcourait les campagnes, ravageait les moissons, enlevait ou égorgeait les troupeaux, et mettait le feu aux cabanes des colons , quand elle ne pouvait atteindre son ennemi, qui la bravait dans les tours de son château. C’eût été attenter aux privilèges les plus chers et les plus précieux des seigneurs et des nobles, qui s’étaient affermis dans l’indépendance, que de leur ôter le droit d’attaquer, de détruire , de repousser la force par la force. Ce fut enfin la religion qui vint s’opposer à ces ravages par l’établissement de la trêve de Dieu. On avait précédemment ordonné qu’on observerait la paix jurée sur les reliques des saints, et que les nobles renonceraient de se faire justice eux-mêmes. Mais ces conventions n’avaient servi qu’à faire des parjures, et à augmenter le mépris des censures prononcées contre ceux qui les violaient. Les évêques ne tardèrent pas à reconnaître que, dans ce chaos général, l’observation de cette paix était impossible.
Les seigneurs d’Alsace, assemblés en 1051, sur les invitations et l'autorité du pape, leur compatriote, convinrent de changer cette paix, si mal observée en une trêve, ou suspension d'armes. Il fut d’abord ordonné que dans tous les temps, et de quelque manière que ce fût, on n’attaquerait jamais les églises et les édifices sacrés, les ecclésiastiques et les femmes, les pèlerins, les marchands, les chasseurs et les laboureurs occupés à la culture des terres. On ordonna ensuite que, depuis le mercredi au soir de chaque semaine jusqu’au lundi matin, personne n’attaquerait son ennemi, n’exercerait aucune violence et ne ferait aucun acte d’hostilité; et qu’on observerait la même chose les jours et les veilles de fêtes, aux Quatre - Temps et depuis l'Avent jusqu’à l’épiphanie , ainsi que depuis la Septuagésime jusqu’à l’octave de la Pentecôte.
On statua de plus que celui qui violerait ces règlements, en attaquant son ennemi, le blessant, en entrant de force dans sa maison, payerait une forte amende, s’il est libre, ou serait condamné à
perdre la main, s’il est serf. Celui qui, dans ledit temps de trêve, aura volé ou enlevé quelque chose, sera, pour la première fois, fouetté et aura les cheveux arrachés ; pour la seconde, aura la main coupée, et pour la troisième, sera pendu. Lorsque le coupable nie le fait, s’il est libre, il se justifiera par le témoignage de sept hommes de sa condition: s’il ne l’est pas, ou s’il est d’une basse extraction, il se purgera par l’épreuve de l’eau froide.
Léon IX confirma ces statuts, en ordonna l’exécution sous peine d’excommunication, et voulut qu’ils fussent publiés par les prêtres tous les dimanches, et annoncés tous les mercredis soir au son des cloches.
Le pontificat de Léon IX ne fut pas long : mais ses jours ont été si utilement et si saintement remplis, qu’il a égalé en œuvres les pontifes les plus célèbres. « I1 fut, disent les auteurs de l’histoire littéraire de France, un des plus grands papes qui aient gouverné l’église dans les siècles d’ignorance et d’obscurité. »
François Pétrarque en fait le plus grand éloge. Un auteur, qui se plaît à lancer contre les papes les traits de la satyre la plus envenimée, n’a pu s’empêcher de payer à Léon un tribut de louanges. Sa mémoire cependant n’a pas été à l’abri des plaisanteries d’un écrivain célèbre, qui malheureusement n’a que trop possédé l’art de plaire et de séduire, et qui sut le prodiguer habilement dans un ouvrage mis depuis longtemps à sa juste valeur, par ceux qui ne cherchent dans l’histoire que l’exacte vérité et la saine morale. « On a fait, dit M. de Voltaire, un saint de ce pape Léon IX ; apparemment qu’il lit pénitence d’avoir fait inutilement répandre tant de sang, et d’avoir mené tant d’ecclésiastiques à la guerre ».
C’est dépeindre sous des traits bien ridicules celle qu’il fut obligé d’entreprendre contre
les Normands. Léon mourut à Rome, le 19 avril 1054, après un pontificat de cinq ans, deux mois et neuf jours. Il fut enterré avec une grande solennité à Saint - Pierre, près de l'autel de S. Grégoire, devant la porte de l’église. On grava sur son tombeau le distique suivant, qui est court, mais énergique :
Victrix Roma dolet nono viduata Leone,
Ex multis talem non 3 habit ma patrem.
La Rome victorieuse pleure Léon IX
De nombreuses personnes ne possèdent pas un tel père.
Rome et l’église perdirent en lui le plus sage et le plus vertueux pontife , qui fût monté sur le Saint-Siège depuis plus d’un siècle. « C’était, dit Victor III, un de ses successeurs dans la papauté, un homme vraiment apostolique, instruit de toute la science ecclésiastique, qui, comme un astre nouveau , parut dans l’univers et en dissipa les ténèbres ».
Peu de temps après sa mort, il fut mis au nombre des saints, et son nom inscrit dans les martyro-logues. On peut même dire que le jour de ses funérailles fut la première solennité de sa fête. Ses reliques sont aujourd’hui dans l’église de S. Pierre, sous l’autel de S. Martial. On a longtemps conservé son bras , dans l’église de Ste Croix de Woffenheim. Son crâne est exposé à la vénération publique dans l’église abbatiale de Lucelle, en Haute-Alsace...
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