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Quand l'Alsace est devenue française 1648 - 1798

Atlas moderne et historique de Cambridge Londres 1912 : Possessions des Habsbourg en 1547

Rappel historique

 

Après la mort de Clovis (511), le royaume va être partagé entre ses fils, suivant la Loi Salique en usage chez les Mérovingiens et l'Alsace fera partie de l'Austrasie ou royaume des francs de l'Est. C'est de ce royaume que sont issus les Pippinides qui vont prendre le pouvoir et donner naissance à la dynastie des Carolingiens dont le personnage le plus illustre est Charlemagne qui va conclure l'expansion territoriale par la création d'un Empire (800). La succession de Charlemagne, ou plutôt celle de son fils Louis le Pieux, va être très mouvementée et donner lieu à plusieurs accords entre les héritiers : serments de Strasbourg1 (842), Traité de Verdun2 (843), Traité de Prüm3 (855), Traité de Meerssen4 (870).

 

L'Alsace va dépendre des possessions de Louis le Germanique qui vont prendre, sous le règne de Otton 1er (962-973), le nom de Saint Empire Romain Germanique. Cette situation va durer près de huit siècles et c'est la Guerre de Trente Ans (1618-1648) qui va provoquer son annexion au Royaume France. Les origines de cette guerre sont liées à la fois à une rivalité ancestrale entre la dynastie des Habsbourg et celle des Capétien-Bourbon, au désir d'indépendance des princes allemands et de Bohême gagnés par la Réforme et à la volonté expansionniste des rois protestants de Suède et du Danemark.

 

Une rivalité ancestrale entre deux maisons régnantes

 

Et pourtant ces deux dynasties étaient liées par des alliances matrimoniales : François 1er a épousé en deuxième noce Eléonore de Habsbourg5 (1530) après la bataille de Pavie (1525) et la libération de ses enfants retenus en otage par Charles Quint, Louis XIII épousa Anne d'Autriche6 infante d'Espagne (1615) et Louis XIV épousa l'infante Marie-Thérèse d'Autriche7 (1660), mais ces liens matrimoniaux arrangés n'avaient aucune influence sur la raison d'Etat.

 

La maison des Habsbourg était à son apogée sous le règne de Charles Quint qui avait accumulé les titres nobiliaires : archiduc d'Autriche, Duc de Bourgogne, de Brabant et de Milan, Souverain de Flandre et des Pays-Bas, Roi de Naples et de Sicile, Roi d'Espagne (1516), Roi des Romains (1519), Empereur du Saint-Empire Romain Germanique (1530) et souverain des colonies du Nouveau Monde. Aussi quand le 25 octobre 1555, dans la salle d'apparat du Palais Coudenberg à Bruxelles, il annonça sa décision d'abdiquer de ses possessions aux Pays-Bas au profit de son fils Philippe II et fit part de sa volonté de se retirer de toutes ses fonctions, l'assemblée était médusée. En 1556 il confia à Philippe II la souveraineté sur l'Espagne, Naples, la Sicile et les colonies du Nouveau Monde et le 3 août de la même année il remit la couronne du Saint-Empire à son frère Ferdinand 1er. Ce sont sans doute ses maladies8 associées à une profonde ferveur religieuse catholique qui on fait naître en lui cette lassitude du pouvoir et ce désir de se retirer au monastère de Yuste en Estramadure.

 

L'emprise territoriale de la dynastie des Habsbourg en Europe, était pour le Royaume de France, qui avait des visées sur les pays du Rhin, une grande menace qui a été bien comprise par le Cardinal de Richelieu, principal ministre de Louis XIII en charge de la diplomatie. La nomination de l'archiduc Léopold V au siège épiscopal de Strasbourg (1607) et au poste de gouverneur de l'Autriche Antérieure (1619) va encore renforcer le contrôle d'un ensemble de possessions en Haute et en Basse-Alsace ainsi que dans l'Ortenau et le Brisgau. Sur le plan de la politique étrangère Richelieu mit tout en œuvre pour affaiblir la position des Habsbourg en soutenant leurs ennemis protestants, et cette stratégie fut naturellement reconduite sous Mazarin. Sans le soutien apporté par la France aux princes protestants allemands et au roi protestant de Suède Gustave-Adolphe la Guerre de Trente Ans ne se serait pas développée dans de telles proportions.

 

Pour bien comprendre cette guerre il faut aussi tenir compte du contexte religieux après le mouvement de la Réforme. Les Habsbourg d'Espagne et ceux du Saint-Empire se sentaient plus que jamais investis de la mission de défense du catholicisme ou de Contre-Réforme et étaient soutenus en cela par le Vatican. Le Roi de France Louis XIII poursuivait en politique intérieure le même objectif mais succomba au pragmatisme d'un Richelieu lorsqu'il s'agissait d'affaiblir les Habsbourg. Louis XIV né en 1638 n'avait que dix ans lorsque la guerre se termina par les traités de Westphalie et ne jouera donc aucun rôle durant cette guerre et dans la négociation des traités mais sera actif plus tard, comme nous le verrons, pendant la phase d'annexion progressive de l'Alsace. 

 

Le déclenchement de la Guerre de Trente Ans

 

Traditionnellement le début de la Guerre de Trente Ans est lié à la fameuse Défenestration9 de Prague du 23 mai 1618. La noblesse, déjà indignée par les campagnes anti-hussites qui suivirent la mort de Jean Hus (1415) a été sensible aux thèses développées par Luther et Calvin et rétive à la politique de Contre-Réforme et de centralisation du pouvoir sous le règne de Ferdinand II. Le 14 novembre 1619 l'électeur palatin Frédéric V va accepter la couronne de Bohême que lui avait proposée la noblesse protestante. Son règne sera de courte durée car son armée fut battue le 8 novembre 1620 lors de la Bataille de la Montagne Blanche, près de Prague, par les impériaux commandés notamment par le comte de Tilly.

 

La révolte protestante va néanmoins se poursuivre avec l'intervention du chef mercenaire Ernest de Mansfeld10 qui va diriger plusieurs campagnes au service de Frédéric V en collaboration notamment avec Georges Frédéric de Baden-Durlach et du duc Christian de Brunswick. Il cherchera aussi à obtenir des alliances avec le Danemark, l'Angleterre, les Pays-Bas en guerre contre l'Espagne et plus tard la France. Ses incursions en Alsace (1622-1625) vont se solder par la prise de plusieurs villes comme Haguenau et Obernai et son armée ainsi que celle des impériaux vont semer la désolation dans le Pays.

 

L'entrée en guerre du Danemark

 

Mu par des ambitions territoriales et par la volonté de défendre le protestantisme le roi du Danemark Chrisitan IV entra en guerre (1625). Il voulait contrecarrer la Ligue Catholique initiée en 1609 par Maximilien 1er de Bavière et sera l'un des artisans de la ligue dite de Basse Saxe

réunissant les princes protestants du Nord de l'Allemagne. Battu par les armées de Tilly et Wallenstein il dut se résoudre accepter la Paix de Lubeck le 22 mai 1629.

 

L'entrée en guerre de la Suède

 

C'est le 6 juillet 1630 que l'armée du roi de Suède Gustave Adolphe débarqua en Poméranie et sur l'île de Rügen. Défenseur du protestantisme il avait aussi la volonté d'accroître son influence en Europe et était encouragé par le soutien des princes protestants allemands, de l'Angleterre et de la France11. Grâce à des stratégies militaires innovantes basées sur la mobilité combinant l'infanterie, la cavalerie et l'artillerie légère et grâce à son charisme il obtint plusieurs victoires notamment, après le pillage de Magdebourg, à Breitenfeld (1631) et à Lützen (1632). Mais lors de cette dernière bataille, au cours d'une charge de cavalerie, il trouva la mort le 6 novembre 1632.

 

L'Alsace dans la tourmente

 

L'armée suédoise, commandée notamment par Jean Banner et le chancelier Axel Oxenstierna qui assura la régence, continua néanmoins sa progression vers l'Ouest et envahit l'Alsace (1632-1634). La ville protestante de Strasbourg s'allia aux Suédois, les villes d'Erstein, Obernai, Rosheim Sélestat et Benfeld vont être prises. Les troupes suédoises envahiront aussi le Sud de l'Alsace sous le commandement de Gustave Horn. La mémoire populaire, surtout dans les contrées catholiques, gardera longtemps le souvenir des pillages et des massacres commis par cette armée. Mais il faut placer ces événements dans le contexte de l'époque, les armées étaient composées de mercenaires, la logistique était encore assez précaire et la population eut à souffrir de toutes les occupations qu'elles soient l’œuvre des troupes impériales, espagnoles, suédoises et de leurs alliés protestants, lorraines ou françaises.

 

L'entrée en guerre de la France

 

Après la défaite des troupes suédoises commandées par Bernard de Saxe Weimar et Gustave Horn à Nördlingen en Bavière (6 septembre 1634) , la France déclara la guerre à l'Espagne (mai 1635) et envoya des troupes dans les Pays-Bas. Bernard de Saxe Weimar se mettra au service de la France avec son armée, poursuivra la lutte contre l'armée impériale, et pour occuper l'Alsace et la Lorraine. Sa mort inopinée à Neuenbourg sur le Rhin, à l'âge de 35 ans le 13 juillet 1639, va placer son armée sous le contrôle de la France. On ne saura jamais s'il est mort de mort naturelle ou, d'après la rumeur populaire, empoisonné par des agents français.

 

L'armée française commandée par le vicomte de Turenne associé au duc d'Enghien, futur Grand Condé, va s'illustrer au siège de Brisach (1638-1639), à la bataille de Friboug (1644), à la deuxième bataille de Nördlingen (1645) et à Zusmarshausen (1648), dernière grande bataille de la Guerre de Trente Ans.

 

Les Traités de Westphalie

 

La guerre, la peste et la famine avaient dévasté les pays d'Europe qui servaient de théâtre d'affrontement et notamment l'Alsace dont l'économie s'est effondrée et qui a perdu une grande partie de ses habitants. En 1648 le paysage politique a changé, Louis XIII est mort en 1643 et Richelieu mort en 1642 est remplacé par Mazarin, Ferdinand II est remplacé par son fils Ferdinand III. Si Richelieu a été l'artisan de la diplomatie durant cette période de guerre, l'habile cardinal Mazarin va être à l’œuvre pour piloter les négociations et la stratégie employée pour l'annexion de l'Alsace.

 

Les plénipotentiaires du royaume de France, de l'Empire, du royaume d'Espagne, des Pays-Bas, des Pays Baltes et du Vatican se réunirent à Münster et à Osnabrück pour mettre au point les termes des Traités. Deux articles du Traité de Munster concernent particulièrement l'Alsace. Le premier a trait à la cession au royaume de France des possessions impériales (baillage d'Ensisheim et de Haguenau) et celles la Maison d'Autriche (Sundgau et fiefs impériaux en Alsace) ainsi que la « préfecture provinciale » des villes de la Décapole. Le deuxième, certes confus, souligne les exclusions : les seigneuries appartenant à des dynastes laïques ou religieux (possessions épiscopales ou monastiques), les possessions Palatines (Birckenfeld Deux-Ponts), des Hanau-Lichtenberg, des Wurtemberg (Horbourg, Riquewihr), du margrave de Bade, le comté de Salm ou la République de Strasbourg. Cet article précise aussi que les dix villes impériales qui dépendent de la préfecture de Haguenau conserveraient leur immédiateté à l'égard de l'Empire ce qui est pour le moins curieux.

 

La volonté du royaume de France de vouloir annexer tous les territoires qui composent à l'heure actuelle l'Alsace ne faisaitt pourtant aucun doute et était, peut-être, appelée de ses vœux par une population éprouvée par les malheurs de la guerre et qui chercha une protection que l'Empire n'était plus en mesure d'assurer. L'instrument juridique qui va parachever cette intégration est la création en 1657 d'une cour de justice suprême, le Conseil Souverain.

 

Le Conseil Souverain d'Alsace

 

La composition du Conseil, créé d'abord à Ensisheim (1657) sur l'image de la Régence, puis transféré à Brisach (1674) avant de s'établir à Colmar (1698) va subir plusieurs modifications mais en 1661 on y trouve : un président français, un abbé, un gentilhomme d'Alsace, deux conseillers du parlement de Metz nommés par le roi, un docteur allemand qui comprend le français, le procureur général du roi ayant voix délibérative et un avocat général allemand. Les membres, dont la charge était vénale mais assurait un statut social élevé et était parfois héréditaire, témoignent du souhait d'une certaine parité pour respecter les us et les coutumes du pays. En intégrant l'élite locale dans sa composition et en favorisant l'adaptation au système juridique français des institutions et des usages héritées du passé germanique, le Conseil Souverain peut être considéré comme l'instrument qui va permettre l'annexion progressive des territoires.

 

Les annexions après 1648

 

Malgré les traités de 1648, l'activité militaire se poursuivit par la guerre de Hollande (1672-1678) qui opposa la France et ses alliés à l'alliance des Provinces Unies, de l'Empire, de l'Espagne et du Brandebourg. La guerre de Hollande s’acheva par les traités de Nimègue signés entre août et décembre 1678. En Alsace les villes de la Décapole, dont le sort n'a pas été clairement tranché par les traités de Westphalie se montreront réticentes à renoncer à leur indépendance et à se mettre sous l'autorité du roi de France. Les troupes françaises occupèrent l'Alsace pour sécuriser le territoire et le 5 janvier 1675, sous le commandement de Turenne elles prendront Turckheim défendue par une armée austro-brandebourgeoise sous le commandement de l'électeur du Brandebourg Frédéric Guillaume. Finalement, la Décapole sera dissoute en 1679 et les villes intégrées au royaume de France. Le sort de Strasbourg n'était pas prévu par les traités de Westphalie et la ville conservait son statut de ville libre impériale mais la pression militaire française s'intensifiait. L'armée française avec à sa tête le roi en personne entra en Alsace par le col de Saverne et fit le blocus de Strasbourg qui capitula le 30 septembre 1681.

 

Poussé par son ambition d'étendre son influence en Europe Louis XIV va encore entrer en conflit avec les alliés de la Ligue d'Augsbourg, guerre qui se terminera par le traité de Ryswick (1697) qui l'obligera à restituer la Lorraine au Duc de Lorraine et à abandonner plusieurs conquêtes Outre-Rhin comme Brisach et Fribourg.

 

Les nombreuses seigneuries laïques ou religieuses gardaient leurs prérogatives mais furent contraintes de prêter allégeance au roi de France. Leur annexion définitive va se faire après l'abolition des privilèges féodaux par la Révolution et officialisée pendant la période 1793-1796. Il en est allé ainsi pour le sort des fiefs enclavés détenus par les Princes Allemands.

 

Quand à la ville de Mulhouse, qui est sortie de la Décapole en 1515 pour adhérer à la coalition des cantons suisses, elle va voter la réunion à la France le 15 mars 1798 à la fois pour des raisons politiques (attrait de l'idéal révolutionnaire) et économiques (pour éviter le blocus économique qui l'empêcherait de commercer avec la France).

 

En 1658, par lettre patente et en récompense des services rendus, Louis XIV va léguer à Mazarin les anciennes possessions des Habsbourg dans le Sud de la Haute-Alsace. Ce dernier va en faire don à une des ses nièces Hortense de Mancini et à son époux Charles Armand de La Porte marquis de Meilleraye qui prendra le nom de duc de Mazarin. Cet héritage ira par la suite à une de ses descendantes qui épousa (1777) Honoré Grimaldi prince de Monaco.

 

Bruno Meistermann

 

Indication bibliographiques :

 

La conquête de l'Alsace : Jean Pierre Kintz 2017.

Histoire de la Guerre de Trente Ans : Frédéric Schiller traduction baronne de Carlowitz 1866.

La Guerre de Trente Ans en Alsace : conférence de Georges Bischoff Au fil du Savoir 11 mars 2011.

Traités de Westphalie : Digithèque des Matériaux juridiques et politiques Jean Pierre Maury.

Histoire du Conseil Souverain d'Alsace : Pillot et de Neyremand 1860.

 

1Serments passés entre Charles le Chauve, Louis le Germanique, et leurs armées respectives en langue romane et tudesque, pour se prêter assistance mutuelle et réfuter la suzeraineté de Lothaire désigné par Louis le Pieux comme empereur. Ces serments ont été retranscrits par le chroniqueur Nithard petit-fils de Charlemagne.

2Traité de partage de l'empire en trois royaumes : royaumes de Charles le Chauve, de Lothaire et de Louis le Germanique.

3Traité de partage du royaume de Lothaire 1er entre ses fils.

4Traité de partage de la Lotharingie, royaume de Lothaire II, entre Charles le Chauve et Louis le Germanique.

5Eleonore était la sœur de Charles Quint, veuve du roi du Portugal et deuxième épouse de François 1er.

6Infante d'Espagne et du Portugal, princesse de Bourgogne et des Pays-Bas, elle épouse Louis XIII et assurera la Régence pendant la minorité de Louis XIV.

7Elle épouse Louis XIV en 1660 à l'église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Luz.

8Charles Quint souffrait de la goutte et de crises d'épilepsie.

9Les Nobles Protestants se dirigèrent le 23 mai 1618 vers le palais de Prague et jetèrent par la fenêtre haute de 21 mètres les conseillers de Mathias 1er Jaroslav Borzita, Vilem Slavata et le gouverneur Philippe Fabricius. Une autre défenestration avait été déjà pratiquée par les Hussites en 1483.

10Fils illégitime du comte Pierre Ernest de Mansfeld, gouverneur du Luxembourg et des Pays-Bas espagnols, il devient chef mercenaire au service d'abord des impériaux avant de se rallier à la cause protestante. Subissant plusieurs revers notamment face à Wallenstein il fut contraint de licencier son armée et mourut de mort naturelle au cours d'un voyage vers Venise à Rakowitza en Bosnie en 1626.

 

11Par le traité de Bärwalde du 23 janvier 1631 la France a conclu des accords commerciaux avec la Suède et s'est engagée à verser 400000 rixdales (monnaie d'argent en usage en Europe du Nord) par an sur cinq ans. Ce traité marque l'intervention de la France dans le conflit.

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Commentaires: 1
  • #1

    Dominique (mercredi, 03 juillet 2024 09:06)

    Merci Bruno pour cette très complète rétrospective de notre passé en Alsace !

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