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Quand l'Alsace est devenue française 1918-1919

De la Belle Époque à la Grande Guerre

 

C'est par une singulière ironie du sort que, dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles, à l'endroit même où fut proclamé l'Empire allemand le 18 janvier 1871, que fut signé le 28 juin 1919 le traité qui mit fin à la Grande Guerre. C'est par ce traité que l'Alsace-Lorraine fut restituée à la France après une guerre meurtrière qui fit plus de 10 millions de victimes militaires, des centaines de milliers de mutilés et plusieurs millions de victimes civiles.

 

Comment a-t-on pu passer de la Belle Époque à la Grande Guerre ? Le chrononyme de Belle Epoque est certes né après la guerre 1914-1918 pour désigner rétrospectivement et avec nostalgie la période d'insouciance qui précédait ce terrible conflit. De nombreux historiens se sont interrogés sur les causes profondes de cette catastrophe. L'article 231 du Traité de Versailles prévoyait que l'Allemagne et ses alliés endosseraient la responsabilité de ce terrible conflit, mais les causes n'étaient-elles pas plus profondes ?

 

La situation économique et géo-politique avant le conflit

 

La fin du XIXième siècle siècle coïncide avec le début de la deuxième Révolution industrielle basée sur de nouvelles sources d'énergie comme l'électricité, le gaz ou le pétrole alors que la première révolution découlait plutôt de l'extraction de la houille, de la sidérurgie et de la fabrication de produits manufacturés comme le textile. Cette industrialisation croissante entraîna aussi un développement rapide de l'urbanisation et le passage d'une économie agraire à une économie nécessitant de trouver des débouchés pour écouler la production. Les pays européens profitèrent tous de cette croissance et en premier lieu l'Angleterre et l'Empire allemand.

 

En France, si sur le plan politique, après la Commune de Paris, la Troisième République qui a remplacé l'Empire apporta une période de relative stabilité, sur le plan économique le remboursement des dommages de guerre conduisit le pays à s'endetter lourdement. Cette période est aussi marquée par la montée des syndicats, l'intensification des grèves ouvrières et les premières réglementations du travail.

 

De 1873 à 1896 l'économie mondiale va connaître une récession liée à la surproduction industrielle, aux transitions technologiques et aux spéculations financières sur l'immobilier ou sur les titres émis par les sociétés ferroviaires. Cette crise qui avait démarré par un krach boursier à Vienne en mai 1873 va s'étendre à tous les pays, y compris les États-Unis, et entraîner de nombreuses faillites bancaires et industrielles.

 

Le XIXième et le début du XXième siècles vont connaître une intensification des conquêtes coloniales, ce qui va accroître les tensions entre la Grand-Bretagne, la France, l'Allemagne, l'Italie et la Belgique. Cette rivalité poussait aussi ces pays à suivre une politique expansionniste qui va entraîner une course aux armements et encourager la montée des nationalismes. Elle suscitait parfois des conflits comme celui qui opposa la France à l'Allemagne au sujet du Maroc dans l'affaire de la crise d'Agadir.

 

Ces tensions conduisaient le plus souvent à des négociations comme l'accord du 4 novembre 1911 entre la France et l'Allemagne qui prévoyait, en échange d'un protectorat français au Maroc, des concessions territoriales faites à l'Allemagne dans le Congo. L'Empire allemand qui s'était déjà installé sur d'importants territoires (Cameroun, Togo, Namibie et Papouasie) allait encore accroître sa puissance par le développement de sa construction navale pour rattraper son retard dans la colonisation et contrer la suprématie de la Royal Navy.

 

A partir de la fin du XVIIième siècle (bataille de Vienne 1683), l'Empire Ottoman amorçait son déclin ce qui entraînait le développement des nationalismes et du désir d'indépendance des états des Balkans. Deux Empires étaient particulièrement concernés par la situation de cette région, l'Empire russe et l'Empire austro-hongrois. Le traité de Berlin du 13 juillet 1878 va reconfigurer la carte de cette région, reconnaître l'indépendance de la Serbie, du Monténégro et de la Roumanie, accorder une large autonomie à la Bulgarie, confier à l'Autriche-Hongrie le soin d'administrer la Bosnie-Herzégovine, et à la Grande-Bretagne celui d'administrer Chypre.

 

Le 8 octobre 1908 l'Autriche-Hongrie annonçait l'annexion pure et simple de la Bosnie-Herzégovine ce qui va provoquer une crise diplomatique mais, pour éviter l'embrasement, les différentes puissances acceptèrent à contre-coeur cet état de fait. L'indépendance de l'Albanie va être proclamée par les nationalistes en 1912 et reconnue par la Conférence des Ambassadeurs à Londres en 1913. Cette indépendance va priver la Serbie d'un accès à l'Adriatique. Les deux guerres balkaniques vont finir par chasser l'Empire Ottoman de leurs possessions européennes et renforcer les positions des états souverains et notamment de la Serbie, liée par une solidarité slave et orthodoxe à la Russie, ce qui inquiète l'Empire austro-hongrois.

 

Le deuxième conflit des Balkans a eu pour enjeu la Macédoine et opposa notamment la Bulgarie à la Serbie et à la Grèce soutenus par la Roumanie. La Bulgarie fut vaincue et ses possessions amputées par le traité de Bucarest. C'est cette défaite et le ressentiment nationaliste du peuple bulgare qui explique que ce pays ira rejoindre plus tard les puissances de la Triple Alliance.

 

A l'aube de la Grande Guerre différentes alliances se dessinèrent comme la Triple Entente qui résulte de plusieurs accords entre la France, la Russie et le Royaume Uni, destinée à contrer les menaces de l'Empire allemand et de ses alliés réunis dans la Triple Alliance formée entre l'Empire allemand, l'Empire austro-hongrois et l'Italie. Cette politique d'alliance était censée éviter l'extension de certains conflits locaux mais force est de constater qu'elle a provoquée l'embrasement.

 

L'esprit revanchard des français après la défaite cuisante et humiliante de 1870

 

La défaite de 1870 et l'amputation du territoire par l'annexion de l'Alsace-Lorraine a ravivé en France le nationalisme et la germanophobie. Déjà en mars 1871 a lieu dans la capitale une insurrection qui va même, dans un élan révolutionnaire, jusqu'à proclamer la Commune de Paris. Cette insurrection sera réprimée sévèrement, fera plusieurs milliers de morts, et causera d'importantes dévastations.

 

La question de l'Alsace-Lorraine va susciter des débats enflammés dans les milieux intellectuels et politiques et mettre en lumière deux conceptions opposées de la notion de nation, celle défendue par Théodore Mommsen et David Strauss basée sur la notion de langue et de culture et celle proposée par Ernest Renan ou Fustel de Coulanges basée sur la notion de communauté d'idées, d'intérêts, de souvenirs et d'espérances. Cette deuxième notion suppose bien entendu, avant toute annexion, le consentement de la population et donc l'autodétermination. La récupération de l'Alsace-Lorraine va devenir un objectif majeur de la politique française. Cette idée sera défendue notamment par des politiques comme Paul Déroulède, Maurice Barrès, Léon Daudet ou Charles Mauras. Des artistes alsaciens comme Jean-Jacques Waltz (Hansi) ou Jean-Jacques Henner vont témoigner par leurs œuvres de l'attachement de l'Alsace à la France. Les dessins satiriques de Hansi vont même être publiés dans les journaux parisiens et Henner va réaliser le fameux tableau l'Alsace, elle attend commandé par Eugénie Kestner et offert à Gambetta.

 

L'état d'esprit de la population restée en Alsace au début du XXième siècle était probablement beaucoup plus nuancée : attachement à la France et résistance passive pour certains, résignation voire germanophilie pour d'autres ou encore tentation de repli autonomiste. Dans les milieux économiques certains entrepreneurs tireront parti, par pragmatisme, des nouvelles possibilités offertes par le marché allemand et l'essor industriel. Il faut aussi garder à l'esprit que tout une génération, qui parlait déjà le dialecte en famille, va suivre une scolarité en langue allemande et que beaucoup d'intellectuels ou d'artistes vont parfaire leur formation outre-Rhin, à l'instar d'un Charles Spindler, à l'origine de la création du cercle Saint-Léonard, de Léo Schnug ou de Henri Loux. Après la mort de Gambetta (13 décembre 1882), le Matin du 5 janvier 1883 publie ces lignes : - … la France n'a pas oublié l'insolente invasion de l'Allemagne et au jour ou l'occasion se présentera, la nation tout entière donnera ses soins à ce qu'on ne la laisse pas échapper ... ».

 

Une certaine presse va aussi entretenir l'idée qu'un jour la France pourra récupérer ces territoires injustement spoliés et elle entraînera une bonne partie de l'opinion publique. Cette idée gagna aussi l'armée française elle-même qui éprouva la nécessité de redresser son image après une capitulation aussi désastreuse que celle de 1870 et la déplorable affaire Dreyfus. Toutefois, quelques voix vont s'élever pour défendre la paix comme celle de Jean Jaurès qui va être assassiné le 31 juillet 1914 au café du Croissant par Raoul Villain, un étudiant adhérent de la Ligue des Jeunes Amis de l'Alsace-Lorraine.

 

Le « casus belli » et ses conséquences

 

Le 28 juin 1914, l'archiduc François-Ferdinand, neveu de l'empereur François-Joseph et héritier du trône, est assassiné à Sarajevo, ainsi que sa femme la duchesse de Hohenberg. Après une première tentative manquée à la bombe d'un typographe serbe de Bosnie, du nom de Cabrinovitch, c'est un lycéen s'appelant Prinzip, lui aussi serbe, qui abat le couple de trois coups de revolver. Ce drame déclenche une réprobation générale en Europe mais aussi des manifestations à Vienne et en Autriche contre la Serbie et de manière plus générale contre le peuple slave. La presse autrichienne n'hésite pas à montrer du doigt un complot serbe voire russo-serbe.

 

L'empereur François-Joseph, qui avait alors quatre-vingt-quatre ans, accéda au pouvoir à l'âge de dix-huit ans à la suite de l'abdication de son oncle Ferdinand 1er. Après avoir échappé à un attentat en 1853 il va connaître une suite de revers contre les troupes françaises et italiennes à Magenta et Solférino (1859) et contre les troupes prussiennes à Sadowa (1866). L'Autriche et la Hongrie se verront définitivement écartées du processus de construction de l'unité allemande qui va se réaliser sous l'égide de la puissance économique triomphante qu'est devenue la Prusse. Il va connaître aussi une série d'épreuves comme l'exécution de son frère Maximilien au Mexique (1867), la mort tragique de son fils Rodolphe à Mayerling (1889), l'assassinat de sa femme Elisabeth à Genève (1898) et maintenant ce nouveau drame qui touche des membres de sa famille. Ce vieil homme, malade de surcroît, à l'aube de la Grande Guerre, se trouvait donc à la tête d'un empire en déclin et l'on peut s'interroger sur ses capacités à avoir la lucidité nécessaire pour affronter pareilles circonstances. Le nouvel héritier du trône sera Charles, neveu de François-Ferdinand et époux de la princesse Zita de Bourbon-Parme une descendante en ligne directe de Charles X roi de France.

 

La réponse austro-hongroise aux événements de Sarajevo tarda ; mais le 23 juillet 1914, par une note remise à la Serbie, l'Autriche-Hongrie posa ses conditions, encouragée en cela par l'appui de diplomatie allemande. A cette note est annexée un ultimatum en 10 points, dont certains portaient atteinte à la souveraineté de la Serbie, avec un délai de réponse fixé au 25 juillet à 5 heures du soir. La fermeté employée par la diplomatie austro-hongroise était surtout l’œuvre du ministre des affaires étrangères de l'époque, Leopold Berchtold et du chef d'état-major Franz-Conrad von Hötzendorf, partisan d'une guerre préventive contre la Serbie. Dans sa réponse à l'ultimatum, la Serbie accepta la plupart des conditions mais déclara qu'elle ne peut pas souscrire à celles qui portent atteinte à sa souveraineté. Cette réponse n'étant pas jugée satisfaisante, l'Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914 et entra dans Belgrade le 30 juillet. La Russie, liée à la Serbie, décréta alors la mobilisation générale et le 1er août 1914, par son ambassadeur à Saint-Pétersbourg, le comte Friederich von Pourtalès, l'Allemagne déclara la guerre à la Russie. Le 3 août 1914, le baron von Schoen, ambassadeur d'Allemagne en France, en fit de même à l'encontre de la France. Avant même cette déclaration des troupes allemandes provoquèrent des escarmouches sur le territoire français et pénétrèrent le 4 août en Belgique ce qui entraîna la déclaration de guerre du Royaume Uni.

 

Ainsi, malgré une intense activité diplomatique, ce conflit qui aurait dû être localisé à l'Autriche-Hongrie et à la Serbie aura dégénéré en guerre mondiale qui, selon toute vraisemblance, aurait pu être évitée si l'Allemagne n'avait pas apporté un soutien aussi inconditionnel à l'Autriche-Hongrie et si l'Angleterre n'avait pas attendu l'invasion de la Belgique pour affirmer sa solidarité dans la Triple Entente. En effet, on peut penser que sans l'appui allemand l'Autriche ne se serait pas aventuré à déclencher un assaut sur Belgrade et si d'emblée le Royaume Uni avait manifesté sa détermination, l'Allemagne aurait hésité à déclencher une guerre contre la Russie.

 

Bref aperçu du déroulement du conflit

 

Suivant le plan Schlieffen-Moltke qui consistait à passer par la Belgique pour remporter une victoire éclair sur la France et ensuite se retourner contre la Russie, cinq corps d'armée furent lancés sur la Belgique et le Nord de la France. Pendant ce temps, suivant le Plan XVII, l'armée française se déployait en Alsace-Lorraine pour accomplir diverses actions offensives comme la prise temporaire de Mulhouse (19 août 1914) et celle des villages de la vallée de la Thur. La résistance belge sous le commandement du roi Albert 1er va permettre aux troupes françaises commandées par Joseph Joffre et Joseph Gallieni de se regrouper pour barrer la route de Paris (1ère bataille de la Marne 6 au 12 septembre 1914). Cet épisode de la guerre va mettre en échec la stratégie de la guerre éclair et marquer le point de départ d'un conflit qui va durer plus de quatre années en prenant la forme d'une guerre de tranchées.

 

Une série de manœuvres destinées à éviter l'enlisement et à contrôler les ports de la Manche et de la mer du Nord vont être à l'origine de sanglantes batailles en Flandres, le long de la rivière Yser et à Ypres. Le 17 août 1914 les troupes russes pénétrèrent en Pologne et en Prusse orientale mais subirent une sévère défaite infligée par les troupes allemandes conduites par Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff à Tannenberg. Celle-ci entraîna d'ailleurs aussi le suicide du général russe Alexandre Samsonov. La victoire remportée par l'armée russe à Lemberg, capitale de la Galicie, contre les troupes austro-hongroises permit d'effacer en partie la déconvenue de Tannenberg. En novembre d'intenses combats se déroulèrent en Pologne.

 

Le conflit va également s'étendre avec l'entrée en guerre du Japon (23 août 1914) aux côtés de l'Entente et de la Turquie qui, sans déclarer la guerre, bombarda les ports russes de la mer Noire le 28 octobre 1914. Le 5 novembre les pays de l'Entente déclaraient la guerre à l'Empire Ottoman mais les alliés vont connaître de sérieux revers lors de la campagne des Dardanelles (Gallipoli 1915). Plusieurs nations par contre vont rester extérieures au conflit comme le Norvège, la Suède, le Danemark, la Hollande, la Suisse et l'Espagne. L'Italie bien que faisant partie de la Triple Alliance resta neutre au début du conflit mais après le traité secret de Londres (avril 1915) elle rejoignit l'Entente en échange de la promesse de gains territoriaux. Elle déclara la guerre à l'Autriche-Hongrie le 23 mai 1915. La Roumanie qui avait choisi de rester neutre va finalement entrer en guerre aux côtés des alliés le 27 août 1916. La Bulgarie s'était rangée aux côtés des empires centraux et son armée participa, avec les allemands et les austro-hongrois, à la conquête de la Serbie et dans les combats de Salonique. Entre 1915 et 1916 l'empire ottoman, dirigé par le mouvement des « Jeune Turcs », va aussi procéder à un génocide sur la population arménienne qui fera près de 1 500 000 victimes. Ce massacre n'est toujours pas reconnu par le gouvernement turc actuel. La Grande Guerre va aussi concerner le Canada et l'Australie en tant que membres du Commonwealth ainsi que les colonies par l'enrôlement de soldats venant d'Algérie, du Maroc (les Goumiers), de la Tunisie ainsi que d'Afrique Centrale comme les Tirailleurs sénégalais.

 

Les forces navales vont jouer un rôle important et grâce à la supériorité maritime de la Royal Navy, l'Allemagne va être soumise à un blocus maritime des matières premières et des denrées alimentaires qui va se révéler déterminant pour la suite. Différentes batailles navales (Heligoland 1914, Falklands 1914, Dogger Bank 1915, Jutland 1916, Otrante 1917) vont contraindre les navires allemands à adopter une position plutôt défensive pour éviter les destructions. Ce conflit va aussi être l'occasion d'utiliser de manière intensive les sous-marins, notamment les u-boot (Unterseeboot) allemands, contre des cibles militaires mais aussi civiles. Cet emploi massif et la tragédie du paquebot britannique Lusitania qui a causé la mort de plus de 1100 civils dont plus de 120 américains (mai 1915) va révolter la population américaine et être un des déclencheurs de l'entrée en guerre des Etats-Unis (6 avril 1917).

 

Parmi les innovations de la Grande Guerre il faut encore citer l'utilisation des gaz de combat employés par les allemands pour la première fois à Ypres et des blindés pour franchir les tranchées. L'aviation qui au début du conflit était utilisée surtout pour des missions de reconnaissance, va servir par la suite pour mener des batailles aériennes et des bombardements.

 

Alors que sur le front oriental la guerre était surtout une guerre de mouvement, sur le front occidental la bataille va s'enliser dans une guerre de tranchées. C'est à Verdun (février à décembre 1916) et sur la Somme (juillet à novembre 1916) que va se jouer le sort de l'invasion allemande. Les troupes commandées par Philippe Pétain puis par Robert Nivelle vont définitivement enrayer l'invasion allemande pendant que les troupes commandées par Ferdinand Foch et les alliés vont tenter d'enfoncer les lignes allemandes sur la Somme. Cet affrontement va être particulièrement meurtrier puisqu'il y aura près de 300 000 victimes à Verdun alors que la bataille de la Somme va causer la mort de près de 1 300 000 soldats. Une bataille non moins dévastatrice va se dérouler sur le front oriental où les troupes russes commandées par Alexeï Broussilov vont enfoncer les troupes allemandes et austro-hongroises en Galicie.

 

En Alsace, la percée de Mulhouse de 1914 va être suivie d'un repli et de la stabilisation du front sur une ligne allant d'Altkirch au col du Bonhomme en passant par Thann avec le Hartmannswillerkopf, Munster avec le col du Linge et Orbey avec la Tête des Faux. Le Hartmannswillerkopf appelée aussi « la mangeuse d'hommes » a fait près de 30 000 victimes, le Linge près de 17 000 et la Tête des Faux plusieurs milliers. Cette guerre des tranchées dont la consigne était de tenir coûte que coûte la ligne des crêtes était donc aussi particulièrement meurtrière pour un bénéfice stratégique parfois assez faible.

 

1917, le tournant de la guerre

 

Plusieurs événements marquants de l'année 1917 allaient bouleverser le déroulement de la guerre : l'entrée en guerre des Etats-Unis, les mutineries dans l'armée française, la Révolution d'Octobre en Russie et l'agitation sociale en Allemagne.

 

Un télégramme envoyé par le ministre des affaires étrangères allemand Arthur Zimmermann à son ambassadeur au Mexique était intercepté et décodé par les anglais. Il prévoyait qu'en cas de conflit avec les Etats-Unis, le Mexique soutiendrait l'Allemagne avec la promesse de gains territoriaux en Arizona, au Texas dans le Nouveau Mexique. Cette affaire associée aux offensives sous-marines allemandes va provoquer l'entrée en guerre des Etats-Unis le 2 avril 1917. L'aide américaine va se révéler décisive par l'afflux massif de troupes fraîches et l'apport en matériel de guerre.

 

Par ailleurs, d'importantes mutineries s'étaient déclarées dans l'armée française à partir du printemps 1917, déclenchées par les conditions éprouvantes de la vie dans les tranchées et les pertes subies lors de l'offensive Nivelle sur le « Chemin des Dames ». C'est le général Pétain qui va être chargé du rétablissement de l'ordre et environ 3400 soldats vont être jugés, près de 500 d'entre eux seront condamnés à mort et une cinquantaine de combattants vont être exécutés pour l'exemple.

 

Le 6 novembre 1917 (octobre dans le calendrier Julien) les bolcheviks s'étaient emparés du pouvoir en Russie provoquant l'abdication de Nicolas II, son exil à Tobolsk puis son emprisonnement à Ekaterinbourg où la famille impériale sera assassinée (16 juillet 1918). Le 3 mars 1918 fut signé le traité de Brest-Litovsk entre la République Socialiste de Russie et l'Empire allemand, l'Empire austro-hongrois, l'Empire ottoman et la Bulgarie, prévoyant des indemnités de guerre et d'importantes cessions de territoires pour la Russie. Ce traité va permettre aux bolcheviks de consolider leur pouvoir et aux membres de l'Alliance de rapatrier les troupes sur le font occidental.

 

A la fin de l'année 1917 et au début de l'année suivante différents soulèvements populaires se développèrent en Allemagne. Ils avaient pour origine les pénuries alimentaires causées par le blocus et la lassitude du peuple face à une guerre qui s'éternisait et provoquait une hécatombe dans la population civile et militaire. Ces mouvements de foule, encouragés par les sociaux-démocrates et organisés par des conseils de travailleurs et de soldats, ont débuté à Kiel et dans les ports de la Baltique pour gagner progressivement l'ensemble du pays.

 

Les combats vont toutefois encore se poursuivre avec la bataille d'Amiens (août 1918), la deuxième bataille de la Somme (août et septembre 1918), l'offensive menée par les forces américaines à Argonne et celle des forces belges et britanniques dans les Flandres. Malgré les importantes pertes subies par les alliés, leur supériorité sur une armée allemande démoralisée et mal approvisionnée en nourriture et en matériel devint flagrante et laissait augurer de l'issue de la guerre.

 

De l'armistice au traité de Versailles

 

Le constat d'une situation militaire défavorable et la pression des mouvements sociaux et de son entourage vont conduire Guillaume II à abdiquer, à Spa le 9 novembre 1918 et à se retirer dans un manoir à Huis Doorn, près d'Utrecht. C'est le leader du parti social-démocrate Friederich Ebert qui va remplacer le chef du gouvernement impérial Maximilien de Bade. L'empereur déchu se consacrera à ses mémoires, ne jouera plus de rôle politique de premier plan. Il s'éteindra à Doorn le 4 juin 1941, victime d'une embolie pulmonaire.

 

C'est dans un wagon, à Rethondes dans la forêt de Compiègne, le 11 novembre 1918, que fut signé l'armistice mettant fin à la guerre et prévoyant la libération des prisonniers, le désarmement de l'Allemagne et l'annulation du traité de Brest-Litovsk. Étaient notamment présents pour les alliés le général Maxime Weygand, le maréchal Ferdinand Foch et les amiraux George Hope et Rosslin Wemyss et pour les allemands Mathias Erzberger, Detlof von WinterfeldtAlfred von Oberndorff, l'amiral Ernst Vanselow, le général Hermann Geyer et le capitaine von Helldorff.

 

Le 28 juin 1919, le traité de Versailles mit fin à la guerre, permit à la France de récupérer l'Alsace-Lorraine, officialisa d'importantes cessions territoriales à la Belgique et à la Pologne, plaça Dantzig et la Sarre sous le contrôle de la Société des Nations et entérina pour l'Allemagne la perte de ses colonies. Ce traité organisa aussi la démilitarisation de l'Allemagne, la renonciation à toute union avec l'Autriche et le paiement d'une indemnité de guerre qui sera fixée plus tard 132 milliards de marks-or. Ce traité portera notamment la signature de Georges Clémenceau, David Lloyd George, Woodrow Wilson, Vittorio Orlando, Saionji Kinmochi et Herrmann Müller.

 

Déjà en 1917, l'empereur d'Autriche Charles 1er avait cherché à négocier, maladroitement, une paix séparée ; mais ses tentatives échouèrent. C'est le traité de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919) qui va officialiser la dissolution de l'Empire austro-hongrois, la cession d'importants territoires à La Tchécoslovaquie, la Pologne et l'Italie, modifiant ainsi la physionomie de l'Europe centrale. L'empereur va être contraint à l'exil à Madère où il va s'éteindre le 1er avril 1922 à l'âge de 34 ans. Sa femme, Zita de Bourbon Parme, avec ses huit enfants, va s'installer dans différents pays avant de se fixer en Suisse. Elle s'éteindra le 14 mars 1989, à l'âge de 96 ans, et sera inhumée dans la crypte des Capucins à Vienne. Conformément à une tradition familiale, son cœur et celui de son mari sont conservés comme relique dans l'ancienne abbatiale de Muri.

 

C'est l'armistice de Moudros (30 octobre 1918) qui va mettre fin au conflit avec la Sublime Porte. Le traité de Sèvres (10 août1920) va démanteler l'empire ottoman mais va aussi susciter une forte opposition nationaliste et déclencher la guerre d'indépendance dirigée par Mustafa Kemal Atatürk (1919-1923). C'est donc le traité de Lausanne (24 juillet 1923) qui va mettre fin à l'empire Ottoman et reconnaître la République de Turquie.

 

L'armistice de Thessalonique (29 septembre 1918) va permettre à la Bulgarie de sortir du conflit et le traité de Neuilly (27 novembre 1917) va la contraindre à céder d'importantes possessions à la Grèce, la Roumanie et la future Yougoslavie.

 

En Alsace-Lorraine, l'annexion et ses conséquences

 

En novembre de l'année 1918 un conseil de soldats et d'ouvriers, à l'exemple de ce qui avait lieu dans plusieurs villes allemandes, et calqué sur les soviets russes, s'était réuni à Strasbourg sur le thème : ni allemands, ni français, ni neutres, le drapeau rouge a triomphé. Cet épisode a même conduit à la proclamation de la République d'Alsace-Lorraine sur la place Kléber et à l'élévation d'un drapeau rouge sur la cathédrale. Ces conseils vont essaimés dans plusieurs villes avant de disparaître avec le retrait des troupes allemandes et l'avancée des troupes françaises. Cet épisode, assez peu connu, marque aussi le passage de l'administration allemande à la française et est accompagné de la constitution d'un nouveau conseil municipal désignant pour maire Jacques Peirotes en remplacement d'Otto Back. La rue du 22 novembre célèbre encore aujourd'hui par son nom cette période transitoire.

 

L'arrivée des troupes françaises en Alsace-Lorraine était aussi accompagnée d'une campagne de propagande tendant à prouver l'inutilité d'un référendum d'autodétermination, puisque les alsaciens sont pratiquement tous francophiles. Le président Wilson était d'ailleurs plutôt favorable à un référendum populaire. Les défilés et les célébrations vont être accompagnés de drapeaux français à foison avec toujours, au premier rang, des enfants et des jeunes filles en tenue folklorique.

 

La réalité était vraisemblablement bien plus complexe surtout si l'on tient compte du nombre d'alsaciens qui avaient servi dans l'armée allemande, de l'importance de l'immigration allemande entre 1870 et 1918 et du nombre de mariages mixtes. La plupart des politiques et des hauts-fonctionnaires vont s'adapter et retrouver leurs postes dans l'administration française pendant que certains vont s'engager dans des mouvements régionalistes comme Charles Roos qui va être fusillé en 1940 par les autorités françaises pour intelligence avec l'ennemi. C'est à l'abbé Emile Wetterlé, ancien représentant au Reichstag, élu député à l'Assemblée Nationale en 1919, que l'on doit l'idée du tri de la population alsacienne et de l'attribution de 4 cartes d'identité. Le modèle A, revêtu d'un marquage tricolore, réservé à ceux qui sont nés dans le pays et dont les parents et grand-parents étaient nés dans le pays ou en France, le modèle B pour ceux dont la mère ou le père avait la carte A mais dont le conjoint était allemand et qui devaient faire une demande de naturalisation, le modèle C pour ceux dont le père et la mère étaient étrangers mais nés dans un pays allié ou neutre, et le modèle D pour les autres qui seront expulsés et dont les biens seront saisis. On dispose de chiffres précis pour 1919 et pour la ville de Strasbourg : Carte A : 76416, carte B : 14348, carte C 2243 et carte D 30951. Ces cartes ne vont pas donner les mêmes droits : taux de change des marks en francs, restriction du droit de circulation, droit d'être éligible à certaines instances etc …

 

Plusieurs dizaines de milliers de personnes seront donc expulsées et leurs biens confisqués et parmi eux des intellectuels et des chercheurs de l'Université. Les beaux-parents du docteur Albert Schweitzer, futur prix Nobel de la Paix, furent expulsés alors que lui avait été arrêté en mars 1914 à Lambaréné au Gabon et transféré, avec sa femme, au camp d'internement de Garaison en Haute-Pyrénées car suspecté de germanophilie. Plusieurs camps, appelés d'ailleurs camps de concentration, existaient en France pour interner les prisonniers de guerre mais aussi les civils soupçonnés d'intelligence avec l'ennemi. L'architecte Johann Knauth, qui a permis de sauver la flèche de la cathédrale menacée par l'effondrement d'un pilier, a lui aussi été victime de cette vague d'expulsion. Il est vrai que compte tenu de son mariage avec une alsacienne, on lui avait proposé de conserver son poste s'il optait pour la nationalité française. Ayant perdu deux enfants à la guerre il a toujours décliné cette offre et déclaré qu'il ne pouvait pas changer de nationalité comme de chemise.

 

Ces mesures discriminatoires, basées sur l'origine ethnique, entrées en vigueur entre 1918 et 1922, vont entraîner, comme toujours en temps de guerre, un climat de suspicion et délation. Elles vont être très mal perçues par la population et encourager le développement des mouvements autonomistes. L'examen des lettres de dénonciation a permis d'établir que bon nombre d'alsaciens ont participé à ces campagnes de délation, y compris des membres éminents des milieux politiques ou artistiques de l'époque.

 

Pour que la population adhère au patriotisme ambiant, l'école primaire va être mise à contribution. Déjà en 1914, lors de la libération des villages de la Thur, l'enseignement a été dispensé en langue française avec la contribution de militaires. Le certificat d'études primaires a été introduit et l'instruction fut donnée aux écoles de décorer les salles de classe de tableaux ou de documents évoquant la nouvelle patrie. Bien entendu les programmes d'enseignement furent modifiés et dans certains établissements le parler dialectal fut strictement interdit dans l'enceinte de l'école sous peine de punition pour les contrevenants.

 

L'administration française va progressivement se substituer à celle du Reichsland mais l'Alsace et la Moselle vont toutefois conserver quelques particularités. La première d'entre-elles est le maintien du concordat, héritage napoléonien, abrogé dans le reste de la France par la loi de de séparation de l'église et de l'état de 1905. Ce statut dérogatoire fait que les ministres des cultes des trois religions, catholique protestante et israélite, en activité ou en retraite, sont rémunérés par l'état, car en 1905 l'Alsace-Lorraine était allemande. D'autres exceptions existent dans ce que l'on appelle le droit local ou le régime local d'assurance maladie qui découlent du maintien de certaines dispositions de la législation allemande : remboursement de soins plus élevés en contrepartie de cotisations sociales plus importantes, prestations familiales ou jours fériés supplémentaires comme le Vendredi Saint et le jour de la Saint-Etienne. Le Club Vosgien, créé en 1872 par un magistrat allemand, Richard Stieve, continuera toutefois, inlassablement,  à entretenir et à baliser les nombreux sentiers vosgiens pour le bonheur des promeneurs.

 

Bruno Meistermann

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Sainte Richarde et la fin de la dynastie carolingienne !