· 

L'impératrice Richarde et l'abbaye d'Andlau

 

Traduction d'extraits de Kaiserin Richgard und die abtei Andlau : Geschichte des Elsass : Heinrich Bütner 1991

 

Pendant les premières décennies du 9ième siècle le problème du partage de l'empire franc, que Louis le Pieux avait hérité de Charlemagne, se posait avec de plus en plus d'acuité. Louis n'a pas su arbitrer entre les intérêts divergents avec suffisamment de fermeté, si bien que ce problème devint central pour les carolingiens et plus globalement pour l'aristocratie franque. Les dispositions prévues par le traité de Verdun de l'an 843 étaient contestées par Charles le Chauve et Louis le Germanique qui espéraient une issue plus favorable.

 

Louis le Germanique déployait une activité intense avec des chances de succès. En l'an 853, des émissaires nobles d'Aquitaine l'implorèrent pour intervenir dans la partie sud de la Loire. Louis III le Jeune, le fils cadet de Louis le Germanique, avait même pris contact en 854 avec la noblesse d'Aquitaine mais dissuadé par l'ampleur du projet il y renonça. Quelques années plus tard, en l'an 858, Louis le Germanique accueillit à sa cour Adalard de Saint Bertin et le comte Otton.

 

Louis le Germanique gardait un œil sur l'empire central de Lothaire 1er, auquel appartenait aussi l'Alsace, situé entre la Franconie occidentale et son royaume. Pourtant, l'empire de Lothaire ne devint pas la cible de ses attaques, il cherchait plutôt à consolider ses propres frontières. Celles-ci incluaient vraisemblablement l'abbaye de Rheinau édifié par le duc Wofhard en 778 et dont Louis le Germanique confirma les droits en 852 et accorda sa protection. L'année suivante il céda à l'abbaye de femmes de Zurich (Fraumünster) qui était dirigée par sa fille Hildegarde, des biens appartenant à la couronne dans le pays d'Uri, non loin de la frontière avec l'empire de Lothaire.

 

L'attentisme de Louis le Germanique se poursuivait encore après la mort de Lothaire 1er en septembre 855 et l'émergence des troubles qui ont entouré l'accession au pouvoir de Lothaire II. L'Alsace et les contrées situées dans la haute vallée du Rhône et autour du lac de Genève jusqu'à la haute vallée de la Moselle étaient particulièrement touchées par ce litige familial qui opposa Theutberge et Walrade. Après avoir confirmé des possessions à l'évêque Ratoldus de Strasbourg en mars 856 il fit en mai une donation à l'abbaye de Wissembourg de biens situés dans le sud du Speyergau, au nord des grandes forêts d'Alsace. Même si le diplôme, tel qu'il nous est parvenu, est sujet à caution, son contenu semble être toutefois authentique. Plus tard, en l'an 856, il fit encore don à l'abbaye de Wissembourg d'une importante bande de terre autour de Baden-Baden. Le Mundat de Wissembourg, qui bénéficiait de l'immunité impériale, constituait un verrou pour protéger son royaume de celui de Lothaire.

 

Lorsque Louis le Germanique pénétra en été de l'an 858 en Franconie occidentale, il rassembla son armée à Worms, traversa l'Alsace, et pénétra dans la région de la Marne pour installer la cour impériale à Ponthion. Cette campagne témoigne de l'attention que le roi portait à l'Alsace et de ces intentions envers Lothaire II. En l'an 859 les négociations entre Louis le Germanique et son neveu se poursuivaient avec une rencontre sur une île sur le Rhin près d'Andernach et une autre près de Bâle. Devant l'insistance de Lothaire II de faire reconnaître son union avec Walrade, Louis le Germanique réclama la possession de l'Alsace. Après l'an 860, Louis le Germanique dut d'abord renoncer à l'Alsace mais son intérêt pour cette contrée du Rhin supérieur ne l'abandonna pas, il est même la clé des négociations ultérieures. En 862, son fils, le futur Charles III, épousa Richarde, la fille du comte Erchangar qui avait déjà d'importantes possessions en Alsace.

 

Le comte Erchangar faisait partie de la haute noblesse franque du Rhin supérieur. Dans ses années de jeunesse on le voit administrer le comté du Brisgau (817-828), il apparaît ensuite comme représentant du pouvoir carolingien en Alsace (823-828). En juin 823 Louis le Germanique confirma un échange de biens entre l'évêché de Strasbourg et Erchangar et en l'an 828, avec Lothaire 1er, il donna son accord à un échange de terres avec le couvent de Schwarzach qui permit à Erchangar d'obtenir 17 manses du côté de Ernosheim près de Saverne. Comme les familles de haute noblesse en Alsace, Erchangar était un vassal de Lothaire 1er et sans doute pour le remercier des services rendus Lothaire I lui attribua des biens situés à Kintzheim qui faisaient partie du domaine impérial. Ces terres, et en particulier les forêts, étaient de tout temps la propriété du monastère de Lièpvre fondé par Fulrad et par cette donation Erchangar estimait que les biens impériaux de Kintzheim lui revenaient. Des archives du monastère de Lièpvre de 854 et 866 confirment qu'Erchangar revendiqua ces possessions.

 

Même les terres de l'ancienne cour royale mérovingienne de Marlenheim, situées en aval de la Bruche, allèrent à Erchangar. Car, plus tard, le monastère d'Andlau y disposait de droits dont l'origine ancienne ne peut être prouvée et qui proviennent probablement de transferts à sa fille Richarde qui les a légués au monastère. Comme Erchangar développait son activité sur les deux rives du Rhin supérieur, en Alsace et dans le Brisgau, on comprend que le don du matin (Morgengabe) fait à Richarde se situait dans le Brisgau. Louis le Germanique, attribua à l'épouse de son fils Charles des biens situés Kiechlingsbergen, Endingen, Bahlingen dans le Kaiserstuhl ainsi que Sexau situé à l'entrée de l'Elztal au pied de la Forêt Noire. Même Kenzingen, faisait partie de cette donation et devint le centre des terres de l'abbaye d'Andlau dans le Brisgau. La zone forestière englobait Ottoschwanden et confinait aux possessions du monastère d'Ettenheimmünster dépendant de l'évêché de Strasbourg.

 

Du temps de Louis le Germanique, les cours royales étaient importantes pour l'administration du territoire. Sasbach permettait de surveiller les trafic sur le Rhin et Riegel situé à la confluence de l'Elz et du Dreisam permettait le contrôle des voies de communication vers le Nord. L'intérêt que portait Louis le Germanique au Brisgau est encore souligné par le fait que Charles devint comte de Brisgau (865-871). Avec le mariage de Charles et de Richarde, il renforçait son influence sur l'Alsace et après la mort d'Erchangar, l'ensemble des droits de ce dernier reviendrait à son fils. Après ces événements, et jusqu'en l'an 862, les sources restent muettes sur Richarde, sa destinée et la signification de son mariage pendant près d'une décennie.

 

Ce n'est qu'après la mort de Louis le Germanique (août 876) et lors de l'accession au pouvoir de Charles sous le nom de Charles III qu'apparaissent à nouveau des informations sur Richarde. La part de la Lotharingie qui revenait à la Franconie orientale fut répartie entre les trois fils (877). L'année suivante l'aîné, Carloman, renonça à sa part d'héritage sur la Lotharingie au profit de Charles et de Louis III le jeune et l'Alsace fit partie des possessions de Charles.

 

Dès février 878 Charles III dota sa femme des possessions à vie des abbayes féminines de Säckingen, qui s'étendaient jusqu'au lac de Walenstadt et Glaris, et de Zurich avec des biens et droits sur les rives du lac de Zurich jusqu'au lac des Quatre Cantons. Au mois de juillet 1880 il confirma, au profit de sa femme, les possessions en Alsace. Une autre donation à Richarde intervint lorsqu'il séjourna en 881 dans le Palatinat, celle du monastère de femmes de Saint Marin de Pavie ainsi que le petit couvent de Zurzach dans le Rhin Supérieur. Il renforça ainsi son influence sur la région du Rhin supérieur et sur celle environnant le lac de Zurich.

 

La charte de 880 nous apporte aussi des informations sur la fondation par Richarde du monastère de femmes nobles d'Andlau et le transfert des manses de Meistersheim et de Bergheim. C'est donc en l'an 880 que fut fondée cette abbaye du piémont des Vosges, à la même époque où Richarde était déjà devenue bénéficiaire des donations mentionnées ci-dessus. Nous apprenons plus sur la situation juridique d'Andlau après la charte de Charles III de 884. Le 2 février de cette année il tenait une cour à Colmar, puis il se rendit à Sélestat ou il officialisa par une charte le transfert de l'abbaye d'Andlau à son épouse qui la plaça, avec l'accord de son mari, sous la protection de Saint Pierre de Rome. Dans cette même charte il ajouta une donation au profit de l'abbaye d'Andlau de l'abbaye de Bonmoutier près de Cirey sur Vezouse. La fondation de cette modeste abbaye remonte à l'évêque de Toul Bodo au 7ième siècle. La même année il confirma à Richarde l'abbaye d'Etival, une des plus ancienne fondation dans l'Ouest des Vosges située dans la partie supérieure de la vallée de la Meurthe. Le diplôme qui dans sa forme actuelle date de la fin du 12ième siècle contient une description des possessions transmises vraisemblablement par donation de Charles III. D'autres biens, situés aux abords de la forêt de Dabo, dans la vallée de la Bruche et près de Strasbourg vont rejoindre les possessions d'Andlau au 9ième siècle. On trouve une cour colongère d'Andlau à Wisches dont le territoire s'étend jusqu'au Donon, à Haslach, fondation de l'évêque Saint Florent au 7ième siècle, et à Senones. Il faut ajouter qu'au 14ième siècle il y avait encore une cour colongère d'Andlau à Marlenheim, l'ancienne cour royale mérovingienne dont la juridiction s'étendait sur Kirchheim, Nordheim, Odratzheim et Krontal. Si l'on ajoute les biens détenus en fief à Obersteigen, Wangenbourg, Freudeneck et Birckenwald ont se rend compte de l'étendu des droits de l'abbaye. Les domaines royaux qui avaient pour centre Marlenheim allèrent dans la deuxième partie du 9ième siècle à la fondation de Richarde. Toutes ses propriétés étaient vraisemblablement déjà des possessions d'Erchangar, transmises à sa fille puis à l'abbaye. Les possessions d'Andlau allaient jusqu'à Steinbourg et à la forêt qui se situe au nord de la Zorn et vers la Zinsel.

 

Richarde a transféré tous ses biens et droits à l'abbaye et parfois nous sommes dans l'incapacité de définir les dates exactes de ces donations. Par ses soins et sa bienveillance elle a fait bénéficier l'abbaye de droits allant d'Etival dans la vallée de la Meurthe jusqu'au forêts du Donon et à Marlenheim, des cotaux viticoles alsaciens jusqu'au Kaiserstuhl et des bords de la Forêt Noire vers Kentzingen et Sexau. Toutes ces possessions n'avaient rien à envier aux vieux monastères tels que Munster dans le Val Saint Grégoire, Murbach ou Marmoutier.

 

Lorsque Richarde s'est retirée en 887 dans sa fondation celle-ci rayonna déjà sur les Vosges et la Forêt Noire. Par la suite Andlau ne devint pas une abbaye impériale significative mais ses possessions vont jeter les base de celles des Comte de Dabo et de la famille seigneuriales des Usenberg (Altenbourg).

 

Bruno Meistermann

 

 

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0

A la une

Hohrodberg !

Munster et les établissements Hartmann  !

Les débuts de l'industrie cotonnière à Munster !