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L'Alsace à l'heure de la Querelle des Investitures

De la fin du 10e siècle au début du 14e les relations entre le Saint Empire et la papauté étaient faites d'alliances mais aussi de conflits. L'Empereur, détenteur de la puissance temporelle, s'appuyait sur le sacré et le soutien de l'église pour gouverner et le Pape avait besoin du recours à l'Empereur pour protéger ses territoires. Mais l'un et l'autre cherchaient à affermir leur pouvoir, voire leur prééminence. C'est au cours des 11e et 12e siècles que le conflit, connu sous le nom de Querelle des Investitures, allait éclater.

 

Henri III et Léon IX

 

C'est Henri III, dit le Noir, fils de Conrad le Salique, avec l'aide de l'abbé de Cluny Odilon et de Pierre Damien, qui va tenter de réformer la papauté tombée en décadence. A la suite du Synode de Sutri (1046), il va porter au trône pontifical l'évêque de Bamberg qui va prendre le nom de Clément II. Après son abdication (1047), c'est le sulfureux Benoit IX, dont l'élection avait été invalidée au cours du synode de Sutri, qui va remonter sur le trône. Destitué à nouveau en 1048, il est remplacé par le bavarois Damase II, évêque de Brixen, dont le règne ne durera que 23 jours car il a été emporté par la malaria, empoisonné selon certains, à Palestrina près de Rome, le 8 août 1048.

 

Henri III va encourager Brunon, comte d'Eguisheim et évêque de Toul, cousin germain de Conrad le Salique, pour qu'il se rende à Rome pour prendre la succession de Damase. Sur les conseils du moine bénédictin Hildebrand, futur Grégoire VII, il va aller à Rome en pèlerin où il sera accueilli sous les acclamations. Son pontificat sera de courte durée (1049-1054) et marqué par l'extension des conquêtes normandes en Italie du Sud qui menaçaient les possessions du Vatican. C'est le 10 juin 1053, à Civitate, près de Foggia, que la coalition anti-normande soutenue par Léon IX et l'Empereur Henri III sera battue et que le Pape fut capturé et emprisonné à Bénévent. Il va décéder, peu après son retour à Rome, le 19 avril 1054. Malgré la brièveté de son règne il fit plusieurs voyages en Europe, et notamment en Alsace, jeta les bases de la réforme menée à terme plus tard par Grégoire VII et lutta contre la simonie et le nicolaïsme.

 

Henri IV et Grégoire VII

 

Henri IV, le fils de Henri III, va lui succéder après la mort subite de ce dernier pendant un séjour de chasse, le 5 octobre 1056, à l'âge de 38 ans. Comme il n'a que six ans c'est sa mère, Agnès de Poitiers qui va assurer la régence, toutefois sous le contrôle des aristocrates influents comme le duc de Bavière Otton de Nordheim ou les archevêques Sigefroi I de Mayence ou Annon II de Cologne. Annon, à la tête d'une conspiration, va même s'emparer du pouvoir après le coup d'état de Kaiserswerth (1062).

 

Pas moins de quatre Papes vont se succéder après la mort de Léon IX jusqu'à l'avènement de Hildebrand de Sovana, qui va prendre le nom de Grégoire VII, le 22 avril 1073. Déjà très influent dans la curie romaine, il va être acclamé par le clergé et le peuple de Rome. C'est sous son pontificat que la Querelle des Investitures, qui était toujours latente, va prendre un tournant décisif. Les principes qui sous-tendent sa réforme, qualifiée de grégorienne, sont exposés très clairement dans un document datant de 1075, le « Dictatus Papae », sous la forme de 27 propositions qui précisent l'autorité suprême du Pape sur la nomination, la destitution ou le déplacement des évêques ou archevêques et la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. Cette réforme vise aussi à bannir les pratiques de simonie, le mariage des prêtres et le nicolaïsme.

 

Si au début du règne de Henri IV, après sa majorité, les relations avec le Saint Siège étaient plutôt apaisées, elles vont très vite se détériorer au point qu'il va convoquer un synode à Worms en 1076 où les évêques allemands vont déposer le Pape. Grégoire VII va répliquer en excommuniant l'Empereur et en libérant ses sujets du serment d'allégeance. Cette mesure va provoquer une fronde d'un certain nombre de princes allemands qui se réunirent à Tribur pour exiger la réconciliation avec le Pape sous peine pour l'Empereur de risquer la déposition. Cette révolte va inciter Henri IV en 1077 à traverser les Alpes en plein hiver, avec une escorte, pour se rendre au château de Canossa, propriété de la comtesse Mathilde de Toscane, et demander le pardon. Après trois jours d'attente, le Pape le reçu et leva l'excommunication le 28 janvier 1077 en échange du respect de l'autorité de la papauté.

 

Si cette réconciliation permit à Henri IV de se maintenir sur le trône, la trêve fut de courte durée. Lors d'une rencontre à Forchheim certains princes allemands élurent Rodolphe de Rheinfelden comme antiroi. Devant l'instabilité politique Grégoire VII prononça à nouveau l'excommunication de Henri IV qui répliqua en convoquant un synode à Brixen où ses partisans se prononcèrent pour Clément III comme antipape. Après la mort de Rodolphe de Rheinfelden en 1080, Henri IV marcha sur Rome et fit couronner Clément III pendant que Grégoire VII se réfugia au château Saint-Ange. Il sera finalement libéré par les normands, conduits par Guiscard, mais devra s'exiler, après le sac de Rome, à Salerne ou il décédera le 25 mai 1085. Victor III et Urbain II, ce dernier connu pour son appel à la première croisade, vont s'efforcer de poursuivre la réforme grégorienne.

 

L'influence de Cluny

 

L'abbaye de Cluny a été fondée en 910 par Guillaume d'Aquitaine avec l'aide de Bernon qui devint le premier abbé. C'était un disciple de l'archevêque de Reims Hincmar et aussi abbé de Baume les Messieurs et de Gigny. Cluny, placé dès sa création sous l'autorité directe de la papauté, va devenir un centre spirituel et intellectuel qui va essaimer à travers l'Europe par l'action des premiers abbés comme Odon, Mayeul, Odilon et Hughes. A une époque ou la vie monastique connaissait un relâchement certain, la réforme clunisienne va prôner un renouveau spirituel basé sur l'application stricte de la règle bénédictine. Ce renouveau va être encouragé par certains nobles et membres du clergé, y compris dans le Saint Empire Romain Germanique. Adélaïde de Bourgogne, reine d'Italie et deuxième épouse d'Otton le Grand, va favoriser le rayonnement clunisien en Germanie. Avec l'appui d'Odilon, elle va aussi fonder le monastère Saint Barthelemy de Seltz où elle sera d'ailleurs enterrée.

 

La réforme clunisienne, qui s'appuyait sur l'indépendance par rapport à toute autorité temporelle, a inspiré la réforme grégorienne et il en est de même pour certains écrits de philosophes et de théologiens de l'époque comme ceux de Manegold de Lautenbach qui soutiendra la primauté de la papauté et soulignera la responsabilité du monarque envers ses sujets. Né vraisemblablement à Lautenbach, professeur de philosophie et de théologie à Paris, il se retira comme chanoine au prieuré de Lautenbach après son veuvage. Ses prises de position vont exaspérer l'Empereur Henri IV au point de l'inciter à ordonner la destruction de Lautenbach en guise de représailles en 1076. Burckart de Gueberschwihr va, plus tard, faire appel à lui en 1089 pour fonder le monastère double de Marbach dont il va être le premier abbé.

 

La bataille autour d'un siège épiscopal

 

C'est la nomination aux sièges épiscopaux qui attisa généralement l'affrontement entre l'Empereur et la papauté. La querelle des investirures toucha également le siège épiscopal de Strasbourg où après la mort de Herrmann, Henri IV nomma le chanoine de Spire Werner II de Achalm dont les agissements et la vie dissolue parvinrent aux oreilles du Pape Alexandre II qui le convoqua à Rome pour qu'il confesse ses fautes. La soumission de Werner ne fut qu'apparente et il se rendit à nouveau à Rome en 1073. A son retour, malgré les lettres de recommandation du Pape, il fut arrêté par la duchesse Béatrix de Toscane et par sa fille Mathilde. Ces événements le détournèrent totalement de la papauté et il continua sa vie de concubinage et encouragea même son clergé à faire de même. Il participa au synode de Worms du 24 janvier 1076 qui destitua le Pape et accompagna plus tard l'Empereur lors de son voyage à Canossa.

 

Mais les partisans de la réforme se développèrent en Allemagne à l'instar de l'abbé bénédictin Guillaume de Hirsau dont les talents de prédicateur gagnèrent aussi l'Alsace et qui prit le parti de l'antiroi Rodolphe de Rheinfelden. C'est en voulant faire le siège de Hirsau que Werner mourut à Pforzheim le 14 novembre 1077. Henri IV, toujours aussi puissant, nomma le capelan et chanoine de Spire Thiébaud et l'installa lui-même sur le trône épiscopal.

 

Après son décès, le 2 août 1082, le chapitre voulut procéder à une élection mais il en fut empêché par Frédéric 1er de Hohenstaufen qui, après la déchéance de l'antiroi Rodolphe, devint duc de Souabe et d'Alsace. Il favorisa la candidature de son frère Otto de Staufen qui fut investi par Henri IV en 1084. L'antipape Clément III va le confirmer mais il sera excommunié par Grégoire VII. Les milieux favorables à la réforme se tournèrent alors vers le moine Bernold de Sankt-Blasien qui confirma le devoir d'obéissance envers la papauté. Ils furent aussi soutenus par le comte de Nordgau, Hughes d'Eguisheim, neveu de Léon IX. Alors que l'évêque faisait le siège de Dabo, Hughes surprit les troupes épiscopales, chassa l'évêque et lui confisqua même les insignes de sa fonction. Otto rechercha à se réconcilier avec le chapitre et même avec le comte d'Eguisheim qu'il invita à un banquet en sa résidence de Haslach. Hughes y passa la nuit mais fut surpris dans son sommeil par des serviteurs de l'évêque qui l'assassinèrent (1089).

 

Bien que la responsabilité de l'évêque ne fut pas établie, sa mère, Hildegarde de Eguisheim, veuve de Frédéric de Büren, fut prise de remords et fit une donation de biens situés à Sélestat au profit de l'abbaye Sainte-Foy de Conques, sans doute en souvenir d'un pèlerinage à Compostelle. Un prieuré dépendant de Conques sera érigé plus tard par Frédéric Barberousse à Sélestat. Otto, après moult tergiversations prêta encore allégeance au Pape Urbain II et participa à la première croisade avant de mourir le 3 août 1100.

 

Du traité de Worms à la Bulle d'Or

 

Trahi par son fils Henri V qui l'emprisonna, Henri IV mourut de chagrin en 1106. Ce n'est qu'en 1122 que le concordat de Worms, signé entre Calixte II et Henri V, mit fin à la Querelle des Investitures en clarifiant la séparation du pouvoir spirituel de l’Église du pouvoir temporel de l'Empereur. Mais la rivalité reprit de plus belle avec l'arrivée au pouvoir de Frédéric Barberousse et le conflit qui l'opposa à la ligue des cités lombardes soutenue par Alexandre III. Après la conclusion d'un accord lors de l'entrevue de Venise de 1177, Barberousse partit pour la troisième croisade et mourut noyé accidentellement, le 10 juin 1190, dans les eaux du Selef au sud de l'actuelle Turquie. Après la mort de Henri VI, dit le Cruel, qui avait épousé l'héritière du roi des Normands de Sicile, son fils Frédéric n'avait que deux ans. La bataille pour la succession opposa les partisans du Pape, les Welfs (ou Guelfes) au partisans des Hohenstaufen, le Gibelins. C'est le Pape Innocent III qui va favoriser l'accès au pouvoir en 1212 de Frédéric, futur Frédéric II.

 

Le règne de Frédéric II fut marqué par une opposition croissante avec le Saint Siège au point d'être excommunié en 1227. Après sa mort en 1250, son petit fils Conrandin fut décapité en 1265 à Naples sur ordre de Charles d'Anjou, frère de Saint Louis, qui avait été investi du fief du royaume de Sicile par le Pape.

 

La fin de la dynastie des Hohenstaufen plongea le Saint Empire dans le chaos, communément appelé le Grand Interrègne, jusqu'à l'avènement de Rodolphe de Habsbourg en 1273. Mais il faut attendre le couronnement de Charles IV de Luxembourg (1356) qui, en proclamant une charte de l'empire, la Bulle d'Or, va fixer les conditions de l'élection du roi des Romains. Le Pape Clément VI, qui était son précepteur, approuva son élection et comprit qu'il fallait mettre un terme à une querelle qui n'avait que trop longtemps durée. La Bulle d'Or fixait le nombre d'électeurs à 7 : trois archevêques (Mayence, Cologne et Trêves) et quatre princes laïcs (le roi de Bohême, le comte palatin du Rhin, le duc de Saxe et le margrave de Brandebourg) et précisa que l'élection devait se tenir à Francfort et que l'élu serait couronné à Aix-la-Chapelle par l'archevêque de Cologne. Cette pratique resta en vigueur jusqu'à la fin de l'empire en 1806 et l'abdication de François II.

 

 

Bruno Meistermann

22/02/25

 

Image : Henri IV attendant d'être reçu par Grégoire VII : Eouard Schwoiser 1862

 

 

 

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