Quai de la Bataille, place de la Croix de Bourgogne, rue Saint-Jean voici quelques indices qui rappellent au promeneur une bataille célèbre qui s'est déroulée à Nancy le 5 janvier 1477. La rue Saint-Jean porte encore le nom d'un ruisseau jadis situé près de la commanderie, qui alimentait un étang près duquel on a retiré, de la glace, le corps dénudé et sans vie de Charles le Téméraire. La tête était défigurée par un coup de hallebarde, les loups avaient dévoré une partie du visage et ses jambes étaient transpercées par des lances. Ainsi prit fin la destinée de ce glorieux monarque qui rêvait de reconstituer le royaume de Lothaire 1er voire de devenir un jour roi des Romains et Empereur du Saint Empire Romain Germanique.
Palais des Ducs de Bourgogne
L'héritage de Charles le Téméraire
Charles le Téméraire était le quatrième et dernier duc de la branche de Valois-Bourgogne. Son arrière grand-père, Philippe, qui gardera le surnom de le Hardi, grâce au courage dont il a fait preuve lors de la défaite de Poitiers (1356), alors qu'il était âgé seulement de 14 ans, a obtenu en apanage de son père, le roi Jean II le Bon, le duché de Bourgogne, le comté d'Auxone, le comté de Chalon et la seigneurie de Salins. Par son mariage avec Marguerite de Flandre à l'église Saint-Bavon de Gand, il obtiendra en héritage la Flandre, l'Artois, le Nivernais et le comté de Bourgogne.
Jean sans Peur succéda à Philippe le Hardi en 1404 dans le contexte particulier de la Guerre de Cent Ans qui vit s'affronter les Armagnacs, favorables à la maison d'Orléans, aux Bourguignons. Après l'assassinat du duc Louis d'Orléans par les partisans de la maison de Bourgogne (1407), c'est au tour de Jean sans Peur d'être assassiné (1419) en présence du dauphin, futur Charles VII. Il n'augmenta pas les possessions bourguignonnes mais par son ambition divisa encore plus la maison de Bourgogne et la maison de France.
Philippe le Bon va lui succéder et, guidé par la vengeance, il se tournera d'abord vers l'Angleterre. Il sera à l'origine du traité de Troyes (1420) signé entre Henri V, le vainqueur d'Azincourt (1415) et Charles VI dit le Bien-Aimé ou le Fou, par lequel Henri V allait devenir l'héritier du roi de France. Mais Henri V va décéder en 1422, avant Charles VI, et n'accédera donc pas au trône de France. En 1430, Philippe le Bon héritera du Brabant, de la Basse-Lotharingie, du Limbourg, du marquisat d'Anvers et de la seigneurie de Malines. Pour consolider ses territoires il fera encore l'acquisition du Namurois et soutiendra Antoine de Vaudémont contre le duc René d'Anjou à la bataille de Bulgnéville (1431). Cette bataille va se solder par la défaite et la capture de René d'Anjou qui sera libéré après avoir négocié une rançon. Quand le duc de Bourgogne vit que la guerre de Cent Ans allait tourner à l'avantage du roi de France et que celle-ci nuisait au commerce de Flandre il conclut avec Charles VII le traité d'Arras (1435) qui mit fin à l'alliance avec l'Angleterre, confirma les possessions bourguignonnes et mit un terme au lien de vassalité envers le roi. Par la même occasion Philippe le Bon va obtenir également des terres comme le Maconais, l'Auxerrois et la Somme ; ce traité rétablira aussi René d'Anjou dans ses droits grâce au soutien de Charles VII. Philippe le Bon va s'éteindre, après un règne de 48 ans, à Bruges à l'âge de 70 ans le 15 juin 1467.
L'Alsace et les Armagnacs
Le terme Armagnacs, emprunté à la guerre civile qui opposait Armagnacs et Bourguignons pour la conquête du trône de France a été utilisé pour désigner les bandes de mercenaires démobilisés lors de la cessation des combats pendant la guerre de Cent Ans. Par déformation on va les appeler armen gecken ou pauvres gueux quand elles vont envahir l'Alsace. En raison de leur cruauté et de leurs excès on les appelait aussi les écorcheurs. Une première irruption d'environ 12000 hommes eut lieu en 1439, en provenance de Lorraine et en passant en Alsace par le col de Saverne. Ils dévastèrent la contrée, se rapprochèrent de Strasbourg sans toutefois l'attaquer puis se dirigèrent vers le Sundgau, ou ils restèrent trois semaines, brûlant des villages entiers, massacrant, rançonnant, pillant et maltraitant la population. Puis ils retournèrent en Lorraine par les montagnes vosgiennes ou en Bourgogne et en France en passant par Montbéliard.
Charles VII connut alors une période difficile où il fallait faire face aux anglais, aux dangers que représentaient ces routiers, mais aussi à une fronde de la noblesse connue sous le nom de Praguerie, nom emprunté au soulèvement des hussites de 1419. C'est une ordonnance du roi de novembre 1439, réformant l'armée, instaurant les garnisons, proscrivant les guerres privées et rendant les capitaines responsables des agissements de leurs troupes qui va provoquer le soulèvement de certains grands seigneurs, visant à mettre le roi sous tutelle et proposant de placer Louis le dauphin à la tête du royaume. Les conspirateurs seront finalement contraints à la soumission et Louis dut reconnaître son égarement.
Selon toute vraisemblance c'est pour éloigner ces mercenaires de ses états et pour occuper son fils devenu insoumis et turbulent, qu'il envoya le dauphin à la tête de ces armagnacs, affronter les Suisses, sous le prétexte peut-être fallacieux de venir en aide au duc Sigismond d'Autriche. Il est vrai que les troupes autrichiennes avaient déjà subi une lourde défaite à Sempach (1386) contre les confédérés et que la ville de Zurich était alors assiégée par ces derniers. La noblesse alliée des Habsbourg voyait d'un œil plutôt favorable l'arrivée des troupes du dauphin et était prête à leur faciliter l'accès à Bâle. Après un regroupement à Langres en juillet 1444, l'armée composée d'environ trente mille hommes (soit 15000 combattants en tenant compte des accompagnateurs), et dotée de pièces d'artillerie, se dirigea vers Montbéliard où le comte de Wurtemberg s'empressa de leur faciliter l'accès au château contre la promesse d'épargner ses possessions. Philippe le Bon fit lui aussi preuve de largesses pour assurer la préservation de ses terres de Bourgogne . Mais ces compagnies de routiers sans scrupules ne se privèrent pas de rançonner la population et de semer partout la terreur et la désolation sur leur passage.
Le dauphin quitta Montbéliard le 23 août et c'est le 26 que débuta la célèbre bataille de Saint-Jacques à Bâle, du nom de la maladrerie où s'étaient réfugiés une partie des confédérés qui livrèrent un combat inégal et acharné contre les armagnacs, sous le feu nourri de leur artillerie. Le dauphin lui-même, qui n'avait pas assisté à la bataille car se trouvant au château de Waldighoffen appartenant à Conrad d'Eptingen, rendra hommage à ces valeureux montagnards de Berne, Soleure, Lucerne, Uri, Schwitz, Uterwalden, Zug et Glaris. Les armagnacs se retirèrent victorieux mais leurs pertes, quoique difficiles à chiffrer, furent très importantes. En tout cas, elles découragèrent le dauphin de poursuivre son engagement en Suisse surtout qu'il apprit que les confédérés avaient suspendu le siège de Zurich. Après des pourparlers avec les représentants de l'empereur il se résolut à rester cantonné en Alsace pendant la durée de l'hiver.
Se considérant comme ami des Habsbourg, Louis le dauphin s'établit à Ensisheim et ses hordes de mercenaires poursuivirent leurs brutalités et leurs pillages en Haute et en Basse-Alsace, malgré la réunion d'une diète à Spire et les promesses de l'empereur Frédéric III d'envoyer des renforts. Après le siège de Dambach où le dauphin fut blessé au genou par un carreau d'arbalète, le roi Charles VII rappela son fils. Mais ses troupes restèrent encore stationnées en Alsace jusqu'en mars 1445 et poursuivirent leurs exactions.
La politique d'expansion
Après la mort de son père en 1467, Charles le Téméraire devient duc de Bourgogne et reprend l'important héritage qu'il va s'efforcer encore d'agrandir en poursuivant une politique d'expansion. Par le traité de Conflans du 5 octobre 1465, alors qu'il était encore comte du Charollais, il obtint de Louis XI plusieurs territoires comme le comté de Boulogne ou des possessions en Picardie. Par le traité de Saint-Omer signé le 9 mai 1469 avec l'archiduc Sigismond d'Autriche, il obtient en gage le comté de Ferrette et les possessions des Habsbourg en Forêt Noire contre le versement de 50000 florins or et une vague promesse de donner sa fille Marie en mariage à Maximilien, le fils de Frédéric III. Il acheta à Arnold d'Egmont le duché de Gueldre, envahit la Lorraine et chassa René II en 1475 pour concrétiser son rêve de reconstitution du royaume de Lothaire. Plusieurs évêchés, étaient encore placés sous influence bourguignonne comme ceux de Liège, de Clèves, d'Utrecht ou encore de Cambrai.
Les déconvenues
La politique suivie par Charles le Téméraire l'opposa immanquablement au roi de France. Il envahit la Picardie en 1472, mais le siège de Beauvais fut un échec et malgré quelques succès il fut contraint à mettre fin à cette campagne qui se heurta à une résistance farouche. Il signa la trêve de Senlis du 20 octobre 1472 qui renforçait le roi de France dans ses possessions. Alors que Frédéric III laissait entrevoir à Charles de Téméraire la possibilité de devenir roi des Romains, les pourparlers échouèrent à la fameuse rencontre de Trèves d'automne 1473. Frédéric III quitta Trèves exaspéré, dit-on, par le faste déployé et l'arrogance du bourguignon.
Alors qu'il croyait que les possessions en Alsace dont l'administration avait été confiée au bailli Pierre de Hagenbach lui semblaient acquises, c'est après son voyage en Alsace en 1473, et l'instauration de l'impôt dit du mauvais denier, sorte de droit sur les vins, que la situation de son bailli commença à se compliquer. Après l'opposition de villes comme Thann, Ensisheim et Brisach, il eut à faire face à une coalition liguée contre lui comprenant les villes de la Décapole, la ville impériale de Mulhouse alliée à Berne et Soleure, la ville de Strasbourg, l'évêché de Bâle et l'essentiel des féodaux du bord du Rhin supérieur. Les confédérés vont d'ailleurs signer avec Sigismond d'Autriche la Paix Perpétuelle (ewige Richtung 1474) et adhérer à la Basse-Union, sorte de coalition anti-bourguignonne. Louis XI, par ses manœuvres diplomatiques et par les subsides distribués œuvra, auprès de l'empereur et des confédérés, afin de provoquer un renversement des alliances. C'est l'année 1474 qui marque la réussite de sa politique avec la ligue de Constance, le traité de Chartres, celui de Berne et d'Andernach.
Si Pierre de Hagenbach était un preux chevalier, fidèle au duc de Bourgogne, le sens de la diplomatie lui faisait vraisemblablement défaut. Il fut arrêté et jugé par vingt sept juges, condamné et exécuté à Brisach le 9 mai 1474. Les sommes nécessaires au remboursement du gage furent réunies et l'administration du territoire va être à nouveau assuré par l'archiduc Sigismond et son représentant le chevalier Herrmann d'Eptingen. L'histoire retiendra du bailli Hagenbach l'image d'un personnage arrogant et cruel, un trait sans doute volontairement accentué par ses plus virulents opposants. Charles, prit de colère lorsqu'il apprit la nouvelle, fit saisir comme otage, dans un guet-apens près de Lutzelbourg, le comte le comte Henri de Wurtemberg et porter au commandant de la place de Montbéliard l'ordre de se rendre. Il chargea encore Etienne, le frère de Pierre de Hagenbach et le comte de Blâmont de louer des mercenaires pour dévaster le landgraviat. Toutefois, ces mesures étaient insuffisantes pour lui permettre de revenir aux dispositions du traité de Saint-Omer. Mais c'est durant les guerres livrées contre les confédérés suisses que le grand duc d'Occident va connaître les échecs les plus cuisants, d'abord à Héricourt (1474) puis à Granson (2 mars 1476) et à Morat (22 juin1476) où les confédérés ont bénéficié de l'aide des cavaliers alsaciens.
La Bataille de Nancy
Le duc René II de Lorraine, encouragé par ses alliances avec le roi de France et l'empereur, soutenu par son peuple et par les membres de la Basse Union finit par déclarer la guerre à Charles le Téméraire le 10 mai 1474. Charles, en profita pour abandonner le siège de Neuss et partir à la conquête de plusieurs villes d'Alsace et de Lorraine. Le duc René II, qui fut chassé de Nancy en 1476, va l'affronter le 5 janvier 1477. Son armée renforcée par des contingents de la Basse-Union et des confédérés fut victorieuse et le duc de Bourgogne succomba dans les circonstances citées en introduction.
Le mariage de Marie de Bourgogne
Le 19 août 1477, Marie de Bourgogne épousa Maximilien le fils de l'empereur Frédérique III dans le château des comtes de Flandre à Gand. Ce mariage bien qu'arrangé a été considéré comme un mariage heureux et a permis aux Habsbourg d'entrer en possession de l'héritage à l'exception du duché de Bourgogne, considéré comme un fief du royaume de France.
Bruno Meistermann
29/03/25
Charles le Téméraire et la Ligue de Constance : E. Toutey : supplément de la Société Belfortaine d'Emulation Paris 1902
Histoire de France : Henri Martin : tome 6 : Paris 1855
La bataille de Nancy : Christian Pfister : conférence du 27 novembre 1892
Les Ecorcheurs sous Charles VII : A. Tuetey : Montbéliard 1824
Appréciation du règne de Charles le Téméraire : Paul Henrard : 1873
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